mardi 31 mai 2016

Jour 30 – Série favorite de tous les temps ?

Au moment d'arriver à la dernière question, au dernier jour de ce mois séquentiel, évidemment, il ne restait plus qu'une chose à demander : quelle était la meilleure bédé que j'avais jamais lue. Ma réponse tient en un mot et vous la connaissez déjà si vous portez ne serais-ce qu'une demi attention à ce que j'écris : Planetary.


Planetary est une série de Warren Ellis et John Cassaday que j'ai découverte un peu beaucoup complètement au pif, dans le désordre, par dessus le marché, et elle m'a tellement marquée que je suis aujourd'hui strictement incapable de vous expliquer comment je suis tombé dessus et ce que je lisais en parallèle. Je sais que j'en ai d'abord lu le crossover aux multiples Batmen, et que j'ai acheté les volumes publiés par Semic après la reprise de la publication de la série par Panini, en 2007. Au delà de ça, rien. J'ai dévoré ce truc, et oublié tout le reste. Il y avait tout dedans. Des Doc Savage cryptiques, la fille de Tarzan, les Quatre Fantastiques en méchant, de la SF plus ou moins dure de partout, et surtout un usage malin et complètement méta d'une imagerie qui prédatait les super-héros et qui, semblant de rien, me parlait beaucoup plus que Superman et ses potes.
Il faut ajouter à ça le fait que je commençais à sérieusement apprécier le boulot de Warren Ellis (je l'ai déjà expliqué) et que ses thèmes éparpillés me plaisaient beaucoup. Planetary, qui avait alors presque dix ans (et seulement une petite vingtaine d'épisodes au compteur), a immédiatement pris à mes yeux des allures de manifeste de l'auteur, et je ne vois décemment pas comment le présenter autrement. Tous les éléments y sont, du transhumanisme aux messies historiques en passant par les conceptions inter-dimensionnelles et la part de réel de chaque fiction jamais écrite. La grande force de la narration, c'est d'enrober chacun de ces éléments dans un gros duvet de backstory, autant intra-univers que paralittéraire. On fait les ramifications dans le monde de Planetary souvent en reflet des choses qu'on connait des personnages (et de ceux qu'ils représentent) dans notre pratique de lecteur.

Le haut concept complètement craqué qui fait 75% de l'intérêt du bouquin, néanmoins, c'est celui des century childs. Ellis avait déjà touché à l'idée au travers de Jenny Sparks, personnage qu'il a baladé de Stormwatch à Authority, mais c'est définitivement Elijah Snow qui s'en pose comme l'archétype ultime. Né le 1er janvier 1900 à minuit, il est l'âme de son siècle, un protecteur aux capacités surdéveloppés, tant physiques que mentales. Une espèce de Doc Savage 2.0 (transhumaniste...) créé par mère nature pour veiller sur ses petits. Et Snow va se confier une mission bien particulière. J'éviterai soigneusement de préciser laquelle puisqu'elle est un des noeuds du récit. En effet, Snow est d'abord présenté comme un amnésique engagé par l'agence Planetary, une organisation (trans)humanitaire spécialisée dans les phénomènes étranges, et il est évident que sous ce ressort scénaristique classique (il fait figure de porte d'entrée pour le lecteur), le personnage cache quelque chose de bien précis et en lien direct avec la raison pour laquelle il a été recruté (il en est, gonflé à la connaissance qu'il acquiert, également la porte de sortie).
Autour de lui gravitent des personnages tout aussi classiques en apparences mais dont les origines sont là encore tout à fait particulières et à mettre en relation avec le hors-livre. Si l'on rencontre Axel Brass, le Doc Sacage local, dès le #1 et qu'il attise une grande partie de la curiosité des premiers épisodes, les deux acolytes de Snow (Jakita Wagner et le Batteur) ne sont pas là que pour être les muscles et la science de la bande. Tous savent des choses, et recoller les morceaux fait partie intégrante de la narration : elle crée un univers pour le lecteur, et fouille dans les souvenirs oubliés de Snow.
Et c'est précisément là que la série devient conceptuellement grandiose. Planetary est une bédé fantastique à lire, car elle fait réfléchir sur son univers propre et qu'elle est construite pour qu'on enquête exactement de la même manière que son héros : sans rien savoir du monde qui nous entoure. MAIS, si l'on possède le bagage référenciel, un sous-texte proprement démentiel commence à se développer, un sous-texte plein de godzillateries, de matrices extra-sensorielles, d'enfants tombés du ciel, de cités perdues, de trésors éditoriaux oubliés et de super-héros réimaginés pour l'occasion. Planetary se base sur une idée de failles dimensionnelles, et elle est l'excuse pour une exploration en profondeur d'un imaginaire pulp littéraire et cinématographique foisonnant. Ellis va même jusqu'à revoir le concept de la Ligue des Gentlemen Extraordinaires d'Alan Moore, qui en devient le Planetary occulte du siècle précédent.
Evidemment, toutes les références ne sont pas faciles ni immédiatement accessibles, et c'est à la fois la force et le faiblesse du récit. Si vous êtes à moitié malins, vous savez que vous passez à côté de tas de trucs même si vous vous passionnez pour l'enquête (et la quête) interne de Snow.
Parlant (souvent) de la série avec des amis, c'est généralement le sentiment qui en ressort : "c'est bien, mais j'ai pas les outils pour tout comprendre." Sans compter qu'au delà du jeu des références, certains concepts de science dure n'ont rien à envier aux folies de Stephen Baxter ou Kim Robinson. Mon conseil (et un que j'ai moi-même pratiqué) ? Relisez ce truc cinquante fois, au fil de vos découvertes littéraires. Il y a toujours quelque chose de nouveau à voir.
Planetary est un objet passionnant que, malgré tout le bien que j'en dit, je n'ai évidemment pas saisi de suite et dont je ne possède toujours pas toutes les clés. C'est aussi l'une des petites choses qui rendent son exploration meta absolument fantastique.

Oh, et John Constantine y tue Superman, aussi...

Sans compter qu'au delà de ses qualités scénaristiques et/ou metalittéraires pures, Planetary est aussi une bédé qui pue la classe sur le plan graphique. John Cassaday fera d'ailleurs considérablement évoluer son style au cours de la publication plus que mouvementée de la série, et son découpage dilaté, fait de grandes cases (et de splash pages) qui ne s'entrecroisent pratiquement jamais, participe au rythme tout particulier de l'intrigue. Il y a un côté résolument cinématographique (voir les six superbes pages sur la gauche, tirées du #3), quoique très ancienne école, dans la narration. Souvent très sage et contemplative, elle ne s'éclate que pour des scènes d'action hyper descriptives, offrant dans le storytelling même une réelle visualisation des pouvoirs des personnages (les coups de Jakita explosent littéralement en pages pleines, tandis chaque usage du temps chez Ambrose Chase est un monument de micro-découpage). J'irais même jusqu'à dire que si tout le délire paralittéraire pulp vous passe totalement au dessus voire ne vous intéresse tout simplement pas outre mesure, le graphisme en lui-même est une raison suffisante pour lire la série, tant les compositions fourmillent d'idées narratives. Il y a beaucoup de gimmicks selon l'ambiance des épisodes (le #3, façon polar hong-kongais, est ainsi presque entièrement présenté au format scope) et, ajouté au jeu des couvertures, Planetary a un côté multifacettes passionnant ne serais-ce que dans sa présentation. Si vous voulez apprendre à dessiner de la bonne bédé, vous pouvez sans aucune arrière pensée utiliser Planetary comme modèle (et Age of Reptiles de Ricardo Delgado, mais ça n'a rien à voir).
Planetary est un trésor de narration, stylistiquement hyper travaillé, et si vous êtes à demi curieux de voir ce que donnent les autres travaux de Cassaday, il est indéniable qu'Ellis a une grande part de responsabilité dans son évolution au cours des années 2000. Comparez ses apparitions sur les publications Image en 1997-98 (Gen13, Desperadoes) avec ce qu'il signera plus tard chez DC ou le fantastique Astonishing X-Men réalisé en compagnie de Josh Whedon, voire son court passage sur Captain America, et la différence saute aux yeux.

En même temps, si Ellis et Cassaday sont d'excellents auteurs de leur plein droit, l'un comme l'autre ont eu largement le temps de développer leurs arts respectifs pendant l'interminablement longue durée de publication de la série. Longue de vingt-sept épisodes, elle aurait logiquement du prendre deux ans et demi à être publiée. Il en faudra onze, entre un numéro zéro de présentation en 1998 et l'ultime volume en 2009, auxquels on ajoutera quelques crossovers (avec la JLA, Batman et l'Autorité) pour faire patienter les lecteurs entre 2003 et 2004, pendant la longue période de rien du tout de la série.
Une partie de moi ne peut s'empêcher de penser qu'un large pan du succès de Planetary est d'ailleurs du aux longues périodes d'incertitudes dans sa publication. Qualitativement impeccable, la perspective de la voir disparaître dans les méandres du temps a assurément ajouté à son côté culte, sachant en prime que son manque de visibilité (et sa difficulté d'accès, voire quasi-impossibilité en français) en fait une bédé relativement inconnue du grand public. Ce qu'il lui faudrait, c'est un bel omnibus bien classe de mille pages...


Et si avec tout ce que je viens de dire je ne donne à personne l'envie ne serais-ce que de feuilleter ce truc, je peux arrêter ce blog ici. Planetary est une bédé-concept, un objet qui va au delà du simple fait de raconter une (excellente) histoire, je lui dois probablement une partie de mon amour pour plein de trucs bizarres, de la même manière que d'autres trucs bizarres que j'aime m'ont permis de l'apprécier. J'adore l'ouvrir au hasard et juste regarder les pages, à chercher des détails que je connais ou auxquels je n'avais jamais porté attention avant, j'adore la lire dans le désordre en remettant moi-même les pièces dans le bon sens, et j'adore écrire des tartines hautement biaisées et unanimement partiales sur à quel point elle est bien.
Parce qu'elle est bien. Meilleure bédé ever.
J'ai dit.


Edit : A peine trois mois après l'écriture de cet article, Urban Comics publiait une réédition de la série en deux tomes XXL de quatre-cent pages pièce. Plus aucune excuse, donc.

lundi 30 mai 2016

Jour 29 – Une bédé que tu pensais détester, et a finalement adoré ?

All-Star Superman.


Grant Morrison est un auteur que je n'aime absolument pas. C'est un bourrin. Ca n'a rien de spécialement étonnant pour un scénariste qui sort de l'écurie 2000AD, mais c'est justement tout le soucis : de bons thèmes, d'excellentes histoires, mais aucun raffinement. Je lui trouve la subtilité d'un tank dans un champ de fleurs. Je suis autrement plus partagé sur son compère de toujours, Frank Quitely. Je ne suis définitivement pas un grand amateur de son trait, mais c'est un conteur absolument génial doublé d'un esthète de l'anatomie disfonctionelle, un des rares dessinateurs à savoir raconter quelque chose rien qu'avec une silhouette et un monstre du storytelling que j'ai déjà rapidement évoqué à l'occasion de mes "100 trucs", parlant des cinq premières pages de New X-Men 138. New X-Men, c'est précisément où j'avais connu les deux hommes, et j'avais absolument détesté leur run âpre et (gratuitement) violent, malgré les idées intéressantes du scénariste et la science du découpage de l'artiste.
Pensez-donc si All-Star Superman me faisait peur. Surtout qu'à la même période, Frank Miller et Jim Lee massacraient l'autre grand nom de l'univers DC dans All-Star Batman and Robin, the Boy Wonder (à vos souhaits), et les deux séries étaient surtout marquées par leurs innombrables retards (il aura fallu au total trois ans pour compléter All-Star Superman). Par dessus tout ça, on m'avait vendu l'univers All-Star comme une bête repompe de la ligne Ultimate de chez Marvel, et le côté cash-in était tout sauf tentant.
Pourtant, dans tout ce que je n'aime pas de leurs travaux, je suis tout à fait conscient de leurs qualités, et c'est donc précisément le duo Morrison-Quitely qui m'a poussé à lire la chose, en TPB, une fois la série terminée. Je m'attendais à un Superman brut et sans concession, une version hardboiled du plus grand boy-scout de l'univers bédéphile, et j'ai en fait trouvé la plus belle lettre d'amour qu'on puisse écrire à un super-héros.


La narration fonctionne comme une rétrospective accélérée de ce qui fait Superman, posant les dix (douze? jesaisplus) épisodes plus comme une étude du personnage que comme une véritable histoire, mais il y a pourtant là dedans plus de feuilleton, de légende, d'intrigue et de propos que dans pas mal de trucs qui ont été réalisés sur le personnages réunis. All-Star Superman est dense et fouillé, sans jamais se laisser aller au plaisir vain de la formule, à oublier de raconter des choses. Chaque histoire, autocontenue, explore une tranche du héros, son rôle et son symbole, entre sauvetages de dimensions entières, chats dans les arbres et drames personnels. Au milieu, on trouve quelques-unes des plus belles pages de l'histoire de la bédé nord-américaine.
Je pourrais vous expliquer pourquoi, je pourrais attirer votre attention sur la gaucherie courbée de Clark Kent ("une histoire dans une silhouette", disais-je) et la noblesse grandiose d'une Lois désespérément amoureuse, je pourrais aussi mettre un scan de "la scène" de Regan, mais encore une fois, je vais me contenter d'un mot : Lisez All-Star Superman.

Livrée par un duo d'auteurs sur lequel j'ai rarement de bonnes choses à dire, non contente d'être probablement la meilleure bédé jamais dédiée au grand S, c'est p'tet' même bien la meilleure jamais dédiée à un super-héros tout court. All-Star Superman est une déconstruction de mythe, une étude fantastique de ce qui rend ces personnages si forts et si chers à nos yeux, et aussi et surtout une superbe histoire de plein droit. Tout simplement, All-Star Superman est une grande et belle bédé.

dimanche 29 mai 2016

Jour 28 – Editeur favori ?

J'ai réfléchi. Quelques secondes à peine, certes, mais j'ai réfléchi, je le jure. Et même en réfléchissant, et quelle que soit la période, je ne peux décemment citer que Valiant.


C'est joli, en plus, parce que si on félicite aujourd'hui son improbable résurrection (depuis 2012), l'histoire de la firme fondée en 1989 par Jim Shooter n'avait pas spécialement bien commencée non plus.
D'abord intéressé par les publications à licence, Shooter éditait pour Disney et Western Publishing. C'est de ce dernier (et du catalogue de feu-Gold Key Comics) que sortiront quelques personnages tout à fait particuliers en 1991, quand Valiant se décide à mettre un semblant d'univers superhéroïque en route. Solar, man of the Atom et Magnus, Robot Fighter sortent, portés par les auteurs comme Bob Layton ou Barry Windsor-Smith, et offrent à Shooter l'occasion de récréer un monde unifié à la manière de Marvel et DC. En 1992 arrivent les premiers titres originaux : Harbinger, X-O Manowar, Rai, Shadowman, Archer & Armstrong...
La machine est lancée, disposant d'un curieux avantage sur ses concurrents : une patte graphique et scénaristique commune entre tous les titres, offrant une réelle sensation d'univers partagé, et surtout, un trait (la colorisation à l'aquarelle, notamment) et des histoires plus proches de celles du milieu des 80's, quand au même moment commence à monter l'ire des fans à l'encontre de la main-mise (et de la qualité discutable) des dessinateurs à la mode (1992 est la date de création d'Image Comics). Si l'on n'a jamais entendu parler de cet éditeur par chez nous, aux Etats-Unis, il fait vite son trou : au fait de la gloire de Valiant Comics, Harbinger et Shadowman écoulaient plus d'unités que les X-Men, alors véritable tête de proue du bateau Marvel.

La situation changera quand, en 1994, Acclaim Entertainment, alors un poids lourd du jeu vidéo nord-américain, racheta Voyager Communications, la firme possédant Valiant Comics.
L'effet du rachat mit du temps à se ressentir sur la publication (les titres Valiant seront publiés normalement jusque l'été 1996) et le résultat fut finalement assez triste : renommé Acclaim Comics en juillet 1996, le "nouvel" éditeur conservait ses licences fortes et n'avait pas une mauvaise gestion en soi, Fabian Nicieza, appointé éditeur en chef, se fera même un devoir de lancer de jeunes auteurs (on lui doit les premiers pas de gars comme Mike McKone), seulement le "renouveau" Acclaim Comics-Valiant Heroes ne sera pas au goût de tous les lecteurs. La relance de nouveaux numéros 1 et les nouvelles origines offertes à des héros somme-toute encore tout jeunes ne sont absolument pas justifiés aux yeux des fans, sans compter que le marché souffre du déclin progressif des super-héros dans la seconde moitié des années 90. La recherche de "l'extrême" à la mode coûta terriblement cher à de nombreux personnages et éditeurs, Marvel en mourra même en 1997 (et sera comme un électrochoc pour l'industrie, d'ailleurs, menant entre autre à l'abolition du Comics Code, mais c'est une histoire pour un autre jour).
Dans une atmosphère pesante, quelques publications surnagent : Quantum & Woody, duo parodique créé par Christopher Priest (aka James Owsley, à ne pas confondre avec l'auteur du Monde inverti et du Prestige), sont devenus les Archer & Armstrong d'une nouvelle génération, et Turok et le Shadowman vivent une seconde (voire troisième) jeunesse grâce au crossmédia (X-O Manowar aura aussi droit à un jeu vidéo, en compagnie d'Iron Man qui plus est, mais c'était triste, je refuse d'en parler). Pas suffisant, néanmoins, pour garantir la survie d'un éditeur qui a alors moins de dix ans, et en 1998, la majeure partie des séries sont retirées.
En février 2000 sort le dernier numéro de Quantum & Woody, alors le dernier comic book encore publié mensuellement, stoppant en milieu d'intrigue, et Acclaim Comics disparaît des comic stores. L'éditeur tombera officiellement avec sa maison mère, en 2003, sans avoir rien publié d'autre que l'adaptation de Turok Evolution, vendue avec le jeu en 2002.


Dès 2004, cependant, un groupe d'entrepreneurs entend rendre à Valiant ses lettres de noblesses. Le catalogue est récupéré (le catalogue propriétaire, s'entend, c'est-à-dire sans les héros de Gold Key qui avaient permis l'envol de l'éditeur en 1991) et Valiant Entertainment naît en 2005. S'ensuit une longue bataille financière et créative dont je vous passe les détails, pour enfin arriver à la délivrance : en 2012, Valiant est de retour. L'évènement "Summer of Valiant" est lancé au mois de mai avec X-O Manowar, devenu avec les années un personnage culte (malgré des ventes limitées à l'époque), et propulsé porte-étendard de la nouvelle ligne. Derrière lui s'ajouteront les reprises d'Harbinger, Bloodshot et Archer & Armstrong au cours de l'été. Shadowman attendra quant à lui Halloween pour rejoindre les étals (et reste à mon goût le seul faux-pas du nouveau Valiant, cette série n'est vraiment pas bonne). Bien aidé par un line-up de stars (Fred Van Lente, Cary Nord, Clayton Henry, Duane Swierczynski, l'étoile -alors- montante Khari Evans...) et le succès que rencontrent à nouveau (merci le cinéma) les super-héros, ce nouveau Valiant trouve très vite son public. Il faut dire qu'il jouit d'un souvenir ultra-populaire (en témoignent les 42mille(!) précommandes d'X-O Manowar #1), mais aussi et surtout que la qualité est au rendez-vous. L'éditeur rafle un paquet de nominations dès ses premiers mois d'existence, et finira avec le titre d'éditeur de l'année 2012 (avec à peine huit mois d'existence et moins de 5% de parts de marché, un exploit).
Mieux, alors que Marvel et DC s'embourbent peu à peu dans des décisions éditoriales plus que discutables, Valiant conserve la cohérence qui faisait la force de son univers partagé en 1992 : des ramifications partout mais relativement peu de séries (rarement plus de cinq ou six à la fois). Un choix qualitatif plutôt que quantitatif qui permet aux auteurs de mieux travailler ensemble et aux lecteurs d'acheter la totalité de la ligne éditoriale sans se ruiner. Le modèle s'appuie par ailleurs sur des crossovers prédéterminés et des fins de séries annoncées (les Summer of Valiant 2013 et 2014, puis Valiant Next en 2015), se basant sur des raisons scénaristiques plus que financières, et affichant une volonté éditoriale claire tant pour les lecteurs que pour les auteurs. La transparence de Valiant Entertainment en fait l'éditeur idéal pour le web 2.0, et les fans s'en donnent à coeur joie.
A voir si, à terme, la méthode continuera de payer, mais elle me conforte dans un choix que j'ai fait il y a des années : je ne lis que très peu de super-héros, et mes super-héros favoris, quoi que j'aie tendance à plus souvent parler de Spider-Man et des X-Men, ce sont ceux de Valiant. D'ailleurs, depuis 2012, ce sont les seuls que je lis... Et très honnêtement, vu les cochonneries qui se préparent (voire sont déjà en place) chez Marvel et DC (on parle de Steve Rogers, Captain AmerHydra?), je n'm'en porte pas plus mal.


Evidement, tout ceci est avant tout du à ma fascination pour Turok (vous n'imaginez pas, quoique le travail de Dynamite soit tout à fait réussi, à quel point je suis triste qu'il ne soit pas au programme du Valiant moderne) et l'obstination avec laquelle j'ai cherché à m'offrir tout ce qui touchait au personnage (par extension toute naturelle -lire "vidéoludique"-, je suis ensuite passé au Shadowman, puis à Valiant en général), mais après des années de lectures, le résultat est là. J'ai un fort attachement affectif à cet éditeur et à ses héros, et je ne pouvais décemment pas citer qui ou quoi que ce soit d'autre...
Parce que j'ai réfléchi, pour de vrai, quand j'ai lu la question. Pas longtemps, comme je le disais, mais dans ce pas longtemps, mon évident biais pour les éditeurs de comics fantastiques voire horrifiques (ou en tout cas à vocation résolument adulte) m'a sauté à la gorge. Il m'a crié de parler d'EC Comics (ce que je ferai, soyez-en sûrs), d'éplucher toutes les collections un peu folles de chez Vertigo, de hurler mon amour inconditionnel et totalement pas assumé pour Warren Publishing (Vampirella!), et de tartiner un peu partout sur ce blog la fascination que j'ai pour Rebellion et son 2000AD (un vivier démentiel d'où sortent la large majorité de mes auteurs favoris), mais...
Mais Valiant. Définitivement Valiant.

samedi 28 mai 2016

Jour 27 – Film bédéphile favori ?

J'avais succinctement fait part de mon problème concernant cette question au moment d'aborder les "dessins animés" de la question 11. Mes films adaptés de bédés favoris sont tous, sans aucune exception, des films d'animation. Même Marvel et DC (surtout DC -c'est la Warner, hein-) m'intéressent plus animés qu'en prise de vue réelle. Ainsi donc, dans une collection où figurent du Asterix et du Tintin en pagaille et où, de très loin, mon film de super-héros ultime se trouve être Les Indestructibles (j'ai aussi un faible pour le Wonder Woman de 2009), mon absolue référence, c'est Lucky Luke. Le film de 1971 de Belvision, hein, pas le Terrence Hill. "Animé", j'ai dit.


C'est l'un des films que j'ai le plus vu étant môme, c'est un de mes personnages favoris tout média confondu, et ce serait mon film favori de l'histoire du monde planétaire, bar none, si le hasard ne m'avait pas mis un jour devant Tombstone (oui, je suis un cow-boy). Lucky Luke (que je vais appeler Daisy Town à partir de maintenant pour des raisons de commodité), c'est quelque chose dont je ne me suis jamais lassé. C'est drôle, fin, aventureux, avec un héros qui, sous sa mèche et avec sa clope de taiseux, a environ douzemille fois plus de personnalité que bien des hurleurs surexcités de films d'animation moderne.
La scène bien évidement gravée dans ma mémoire (et j'ai la musique en tête rien que d'y penser), c'est la construction de la ville au début, monument d'humour absurde et de situations incongrues, reproduite à la frame près par Hill vingt ans plus tard dans sa reprise mélancolique du personnage. (Je pourrais en dire des kilos sur ce film, mais je m'arrêterais à cette remarque. Reprenons plutôt.) Mais il y a bien plus que l'humour meta de l'immense René Goscinny dans ce film.
Il respecte à la lettre (et c'est précisément ce qui le rend drôle) une description désuète de l'ouest légendaire, avec ses preux chevaliers de la justice parcourant les plaines sur leurs étalons, et "les bandits, les desperados, la racaille, les chevaliers de la violence et du vice" (avec une ligne de basse de l'enfer) qui en font une mine à histoire toutes plus invraisemblables les unes que les autres. Celle-ci est originale, mais intègre nombre de personnages croisés (ou à croiser) dans les aventures de papier, et s'avère même être une des meilleures du personnage. En fait, au delà du bête amour que j'ai pour Lucky Luke, le fait qu'il soit ainsi apparu au cinéma, héros qu'il est d'un genre éminemment lié au grand écran, témoigne bien de son importance.

Au delà de ça, il y a bien évidemment l'intérêt même du format cinéma. Le choix d'un scénario original s'est fait avant tout de par la nécessité d'avoir des gags, des dialogues, et surtout un rythme de narration qui soit propre au média (une question qui est bien souvent éludée par les armées de fans dans notre ère moderne d'adaptations littéraires à tout va, au nom d'un "respect" absurde et incompatible avec l'entreprise).
L'autre raison, qu'on garde généralement plus discrète, c'est qu'il y avait la place pour le faire. Daisy Town s'est en effet tourné avec un budget faramineux pour l'époque et ce type de produit : quatre millions et demi de francs (ajusté à l'inflation, ça fait à peu près autant d'euros aujourd'hui). Il faut dire que Belvision avait fait les choses bien : si Goscinny (et son copain Uderzo) s'était fait pour ainsi dire voler Asterix en 1967 pour Asterix le Gaulois, il avait vite récupérer les reines des versions animées de ses oeuvres (il est d'ailleurs crédité comme réalisateur de tous les films adaptés de ses BDs - à l'exception d'Asterix le Gaulois, évidemment), bien aidé par un grand monsieur de la télévision, un certain Pierre Tchernia. C'est Tchernia qui avait négocié pour Asterix chez Cléopatre (1968), et c'est lui qui débloquera l'argent pour Daisy Town. Autre détail d'importance, décidé en 1969, le film bénéficie de deux ans pour se faire. C'est quatre fois plus qu'Asterix chez Cléopatre (entre temps, Belvision sortira Tintin et le Tempe du Soleil). Ainsi donc, quand le projet Daisy Town démarre, tout ce beau monde est fin prêt et sait ce qu'il fait et a à faire. Et Goscinny de proposer ce scénario simple mais bourré d'idées à son compère.
L'idée était, vu la difficulté de l'entreprise, d'avoir la trame la plus modulable qui soit et de travailler une multitude de petites scènes pour pouvoir les adapter au mieux tant au style de l'artiste qu'aux règles du cinéma.

En terme de caractérisation, c'est là que se passent des choses dingues qui font frétiller mes moustaches aujourd'hui et qui participaient à la magie quand j'étais p'tit : Lucky Luke n'était jusque là jamais apparu ne serais-ce qu'à la télé, le personnage n'avait jamais pensé pour être animé, et il fallait donc repenser sa gestuelle tout en conservant ce qui faisait de lui... lui. De là découle ce qui deviendra le look iconique du personnage, avec le trait ultra stylisé de Morris, qui n'avait jusqu'alors cessé d'évoluer et de tester de nouvelles choses dans les bandes dessinées (voyez la façon dont le style séquentiel du monsieur se fige peu à peu entre 1969 et 71 pour vous en convaincre -une métamorphose qui avait d'ailleurs commencée en 1965 avec Le 20ème de cavalerie-). Il sera simplifié pour les besoin de l'animation (les coutures du pantalon, par exemple, disparaîtront) mais la silhouette générale restera. Et puis il y a la voix et la diction. Habituellement discret mais prolixe, Luke devient alors un héros monosyllabique ("Ouaip."), renforçant son image de solitaire mythique. En fait, le film lui-même est majoritairement muet.

Un exemple concret de tout ça, c'est la scène du duel, aux sons répétitifs et agressifs, et à la lenteur exacerbée. Tout y est amplifié, dilaté, la scène est pensée cinématographiquement pesante. En BD, ça ferait peut-être deux planches, l'oeil les scannerait en quelques instants et passerait à la suite. Ici, ça dure quatre pleines et longues minutes, jusqu'à la compréhension du gag, et la courte attente avant la libération. C'est grandiose, et c'est la meilleure scène du film.

Vous excuserez le format tronqué de l'image, Youtube aime le 16/9...

Et à chaque nouveau visionnage du film, je remarque et/ou me souviens de nouveaux et nombreux détails de ce genre. Parfait exemple de ces oeuvres qu'on peut apprécier à n'importe-quel âge et à des degrés radicalement différents, Daisy Town est une adaptation monumentale, un film qui a parfaitement compris à quels niveaux il doit être proche et différent de son support d'origine, fruit du travail de gens dont le talent n'est plus à démontrer.

Pour preuve, quand, en 1983, il entrera à la postérité séquentielle en étant adapté par son auteur lui même (c'est à cette occasion qu'il prendra le nom Daisy Town), la plupart des gags visuels seront largement diminués, et, évidemment, la totalité des auditifs passeront à la trappe. Daisy Town est un film, et un grand film.

vendredi 27 mai 2016

Jour 26 – Une bédé que tu voudrais voir adaptée en film ?

Assez tristement, mais fort logiquement par les temps qui courent, quand on pense "film adapté d'une bédé", on pense généralement super-héros. Sauf que les films de supers-héros, moi, j'en peux plus, et, quoique l'idée d'un Valiant Cinematic Universe me chatouille sévèrement, si je devais choisir d'adapter une bédé, j'adapterais un format autocontenu, un roman graphique ou une série limitée. Et dans la catégorie, un en particulier a toujours eu à mes yeux un potentiel cinématographique à crever le plafond : The Chill, de Jason Starr et Michele Bertilorenzi.

Publié sous le label Crime par Vertigo, une collection noir et blanc à la durée de vie aussi courte (2010-2011) que sa qualité était excellente, The Chill est un polar ésotérique plutôt cru, avec des gens fous et des fantômes irlandais dedans.
Le Chill (Le "Frisson" en VF - chez Delcourt, avec une couv' autrement moins classe) est un pouvoir féminin très spécial, puisqu'il permet de "geler" le partenaire de madame au moment du coït. Jusque là, soit, c'est gênant et ça fait peur, mais rien de bien méchant. C'est quand le fantôme familial s'en mêle que ça devient beaucoup plus étrange. Armé d'une lance sacrificielle, il se charge d'envoyer ad patres le malheureux, utilisant l'énergie du sacrifice pour mettre en place le suivant. Deux flics entrent alors en jeu : un jeunot attentionné mais totalement inconscient du "truc qui cloche", et un paumé à la bouteille facile qui sait manifestement ce qui ne tourne pas rond : il l'a déjà vécu.
L'enquête est rondement menée, le trait efficace se chargeant d'animer la chose par gros aplats monochromes comme j'aime, mais ce qui intrigue, surtout, c'est les personnages. S'il n'y a pas grand mystère sur ce qui se passe, la façon dont chacun s'imbrique dans le grand ordre des choses est absolument fascinante, chacun à sa manière avançant inexorablement vers un climax glaçant (huhu). Les victimes du Chill ne sont pas en reste : tous sont, sans exception, d'immondes salopards antipathiques et veules, aux déviances proprement indéfendables et dont la mort, par là même où ils pèchent, s'avère au final cathartique. Une dynamique inversée se crée où la fascination du mal l'emporte bien vite, et on a toutes les peines du monde à ne pas vouloir que mademoiselle Chill ne soit jamais rattrapée. L'épilogue bourré d'ironie roméoetjuliettienne tient en cela du génie, tant par sa simplicité que ses implications directes.
The Chill est joyeusement dégueulasse, complaisant avec lui-même au point de faire son héros de la menace même qu'il met en scène. Cette bédé sait parfaitement ce qu'elle fait et le fait avec un zèle morbide, si bien que chaque personnage rencontré ou presque est un connard grotesque. Il y a les victimes du rituel druidique, bien sûr, mais même le brave flic droit dans ses pompes et propre sur lui n'échappe pas au plaisir manifeste qu'à Jason Starr de faire de ses héros des gros cons : il est un trouduc' m'as-tu-vu sans la moindre idée, connaissance ou compréhension de la situation, et ne doit finalement sa survie qu'au type beurré combattant ses propres fantômes sur lequel il s'acharne depuis le début. Pas de blanc et brillant justicier ici, et si on comprend parfaitement ses motivations, il n'en reste pas moins aussi détestable que les autres. C'est d'ailleurs le gros point fort du bouquin : si la noirceur générale et systématique tient au final surtout du gimmick de narration, toute liberté est laissée au lecteur de s'attacher ou non à ces gens qui sont, en définitive, juste humains. A part le prêtre. Lui, c'est un porc qui n'a que ce qu'il mérite.


Et il va falloir que je m'arrête là sinon je vais ajouter des tas d'exemples rigolos et lire le machin n'aura plus aucune utilité puisque je vais finir par le raconter en entier. Qu'on soit clair, The Chill est ce que Vertigo Crime a produit de meilleur (avec Area 10 de Christos Gage et Dark Entries d'Ian Rankin). C'est surnaturel jusqu'à la moelle, mais c'est aussi définitivement noir. Personne n'est ici pour la justice, et la manière dont chaque élément se met en place a tout du bon thriller druidique joyeusement pop du dimanche soir, avec un plan nichon ou deux pour faire bonne mesure.
La narration est superbe, le dessin splendide, le rythme travaillé et la thématique religieuse iconoclaste larvée offre même un sous-texte propice à plein d'interprétations, mais pas de mystère ici : si The Chill est une excellente bédé au potentiel filmique grandiose, en aucune manière a-t-on affaire à une histoire qui chamboulera le monde. C'est du genre. Du bon.

D'ailleurs, Jason Starr ne faillira jamais à cette appellation, puisque dans la foulée de The Chill, ce romancier de carrière signera Justice Inc. (dans les pages de Doc Savage) chez DC et Punisher et Wolverine MAX chez Marvel.

jeudi 26 mai 2016

Jour 25 – Une bédé que tu prévois de lire ?

Avec un passif d'environ un siècle, la bande dessinée moderne a laissé un paquet d'oeuvres cultes plus ou moins connues et justifiées qu'il fau(drai)t lire au moins une fois dans sa vie. Et parmi tous ces chef d'oeuvres incomparables, il y a en a toujours quelques uns qu'on ne se résout jamais à ouvrir, peu importe leur aura ou même le fait qu'ils soient là, tranquillement, dans votre bibliothèque, à vous regarder.
Une de ces bédés, pour moi, c'est le Sandman de Neil Gaiman.


Bon, il faut aussi dire qu'il n'est plus dans ma bibliothèque, mais le résultat est peu ou prou le même : je l'avais, et je ne l'ai jamais lu. J'en ai pourtant vu des tas d'extraits, de nombreuses séries que j'ai lu s'y réfèrent, de nombreux scénaristes que j'aime également, et Gaiman est sincèrement un de mes auteurs favoris (surtout pour Des Loups dans les murs et Coraline), mais je n'ai, pour une raison qui m'échappe totalement, jamais lu Sandman... ce qui est d'autant plus paradoxal que c'est sa bédé la plus connue.
J'ai bien lu des tas de choses plus discutables et moins intéressantes, comme son étrange reprise des Eternels ou 1602 chez Marvel, et apprécié la bêtise plus ou moins volontaire de nombreuses apparitions spontanées dans les pages du Spirit, de Spawn ou 2000AD (dont il est, lui aussi, un des produits). Mon travail favori de Gaiman en bande dessinée reste la manière dont il a continué, de façon toute naturelle mais en retournant le concept sur sa tête, le Miracleman d'Alan Moore (un autre grand monsieur dont je n'ose pas ouvrir la moitié de la bibliographie -From Hell, Top10, Tom Strong...-, mais lui, c'est parce que j'ai goûté -Watchmen, VLa Ligue-, et que j'aime pas du tout -huez moi, je m'en fous-).
De manière assez paradoxale, Sandman Mystery Theatre, inspiré de l'autre Sandman (et qui n'a rien à voir avec Gaiman), est une de mes séries Vertigo favorite et une lecture dont je ne me lasse jamais...

Sandman est dans ma to-read list depuis des années, il me vient souvent en tête quand je pense à des choses que je n'ai pas lues, mais en dehors du rapide feuilletage effectué le jour de son achat, je ne l'ai jamais ouvert. Jamais eu le temps ou jamais pris ? Aucune idée, et une partie de moi est persuadée que je ne le lirai probablement jamais. Je ne sais pas pourquoi. Trop long peut-être (ça pèse 75 épisodes, j'en avais les onze volumes disparates chez Delcourt/Panini, l'édition actuelle d'Urban Comics reprend les sept intégrales Absolute DC) ? En tout cas, je n'ai jamais cherché à les récupérer ou à les racheter. Mais je n'ai jamais retiré le marchand de sable de la liste pour autant, alors...

mercredi 25 mai 2016

Jour 24 – L'équipe de rêve ?

Cette question est évidemment dédiée au team-up de la bêtise absolue, le plus gros n'importe-quoi qu'un esprit de lecteur plus ou moins fan peut imaginer, et j'y ai évidemment déjà longuement pensé. J'ai même tenté d'en faire une histoire. Dans mon groupe étaient réunies des version alternatives de Doc Savage, Mandrake, Zorro, le Shadow, le Saboteur, le Phantom et un drôle de mélange entre le Shadowman, Ghost Rider et Turok. Quoique la composition diffère largement, c'est, dans le concept (et c'est pas fait exprès du tout), peu ou prou le groupe que Warren Ellis rassemble autour d'Axel Brass, le Doc Savage de Planetary.

Dans l'ordre : Fu Manchu, Operator 5, Tarzan, Doc Savage, G-8, Tom Swift et The Spider.
(savamment déguisés)

J'aurais évidement pu longtemps expliquer pourquoi j'avais réuni ces mecs et pas d'autres, et comment j'avais pensé le faire, mais... Je n'ai honnêtement jamais réussi. Je ne sais absolument pas si cette équipe est viable, elle pue l'impasse scénaristique dans laquelle n'importe-quel personnage est capable de marysue ses partenaires de n'importe-quelle situation. Il faudrait, à l'image de ce qu'avait fait Ellis, les placer en grands décideurs de l'ombre, dont la réunion serait plus dictée par l'envie d'une conduite sage de l'humanité que la bête réponse à une menace intergalactique. Et c'est moyen funky à imaginer... Et puis de toute façon, je ne sais même pas si cette équipe est tout simplement valable dans le contexte de ce questionnaire puisque tous ces héros ne sont pas des personnages de bédé (le Saboteur est même un mec de jeu vidéo dans lequel je ne peux m'empêcher de voir une combinaison irlandaise bourrue et alcoolisée d'Arsène Lupin et Captain Midnight, et dont j'adorerais voir le concept étendu à une bédé).
Du coup, à la place, je vais parler de mon ragtag favori de l'histoire du superhéroisme : les Defenders. Les vrais, pas les Heroes for Hire que Netflix a décidé de nous vendre sous un faux nom.

Cette équipe, née (officiellement) en décembre 1971 de l'esprit cintré de Roy Thomas (auteur de Conan, je ne le répéterai jamais assez), rassemble des héros tellement disparates qu'elle a tout de la famille ultra-disfonctionnelle. Doc Strange, Namor et Hulk se sont réunis un jour, dans Marvel Feature #1, pour se friter gaiement avec un sorcier fou venu d'une autre planète, Yandroth. Pour une raison qui m'échappe encore aujourd'hui, ils sont restés ensemble, vite rejoints par le Surfeur d'argent, mais au lieu de Quatre Fantastiques de la badasserie la plus crasse, leur composition sera à géométrie variable (Strange et Hulk en étant les seuls vrais membres permanents), accueillant des personnages aussi divers que la Valkyrie, le Fauve (des X-Men), Nighthawk ou Luke Cage dans une équipe de l'ombre destinée à contrer à grands coups de phalanges les menaces extra-terrestres de tout poil, spatiales et ésotériques.
Le résultat fut l'une des séries les plus savoureusement pop de la période, une fantaisie bariolée avec une dynamique quasi-anarchique drôle sur tellement de degrés qu'elle sort de notre dimension, nous ayant par ailleurs offert des vilains mémorables comme le Wrecking Crew (?!) et quelques-unes des plus belles planches de baston que l'on ait jamais vu dans un comics de super-héros. Si. Ross Andru est un monsieur que vous vous devez d'aimer si vous avez un demi-sens du goût, et ses successeurs sur la série n'ont pas grand chose à lui envier.
Il est intéressant de noter que Thomas avait longtemps chatouillé l'idée de cette équipe : sa première apparition non-formelle date d'un épisode de Doc Strange en 1969, avant que les personnages ne se réunissent à nouveau plus ou moins par hasard dans les pages de Sub-Mariner puis Incredible Hulk en 1970 après que la série du maître de l'occulte ait été annulée. L'histoire les envoyait se friter avec une menace lovecraftienne quelconque et introduisait pour la première fois le personnage de la Valkyrie (enfin, de Barbara Norriss, son hôte). Fort de sa première tentative, Thomas retentera le coup en 1971, toujours dans les pages de Sub-Mariner, avant d'avoir le droit de nommer officiellement son équipe dans Marvel Feature. Le succès fut instantané, et The Defenders #1 paraîtra six mois plus tard, en août 1972, sous la plume de Steve Englehart et le pinceau de Sal Buscema. Pendant dix ans, cette série sera un bonheur de stupidité entendue et l'équipe affrontera (absolument) tout et (surtout) n'importe-quoi.

N'importe. Quoi.

En 1983, l'épisode 125 introduira les New Defenders, une nouvelle équipe formée par le Fauve après qu'une prophétie extra-terrestre force les quatre membres originaux à quitter la bande. Dès lors, les Defenders, déjà pas un modèle de constance, deviendront l'équipe la moins stable de l'univers Marvel, et perdront, peu à peu, tout intérêt (malgré un chiffre de vente en hausse) : le groupe, association de circonstance et moteur à embrouilles, deviendra une équipe de super-héros basique sanctionnée par le gouvernement des Etats-Unis. Des Vengeurs low-cost.

En 1990, la prophétie sera éventée comme un canular d'un envahisseur random pour éclater "une des équipes les plus puissantes de l'univers". Avec The Return of the Defenders, les originaux s'allient donc à nouveau le temps d'un crossover entre leurs séries respectives. Le succès de l'opération poussera Marvel à faire plein d'autres tentatives pour ramener, sinon l'équipe, au moins le nom des Defenders sur le devant de la scène. Des séries comme Secret Defenders (1993) où Strange rameute de nouveaux héros à chaque épisode, ou The Last Defenders (2008), centré sur Nighthawk, s'intercaleront ainsi entre une réelle aventure (en 2005) voyant Strange tenter de rameuter ses anciens alliés pour repousser Dormammu. En 2009, le Hulk Rouge se paiera même le luxe d'une anti-équipe avec ses Offenders, rassemblant Requin-TigreMordo et Terrax, des vilains iconiques du quatuor des 70's . On doit la dernière version en date des Defenders à la Valkyrie, qui assembla autour d'elle exactement à la façon des originaux un trio de circonstance et entièrement féminin (et ouvertement féministe), les Fearless Defenders (2013), quoique le scénariste, Cullen Bunn, ait toujours insisté sur le fait qu'au delà du titre, il n'y ait en vérité aucune connexion avec les vieux Defenders. Peu importe, c'était l'une des rares bonnes séries issues de Marvel Now, complètement folle, et sans en avoir l'histoire ou les personnages, elle avait l'humour et le décalage (et la composante magique/mystique) de la série originelle.

Et je pense que j'ai fait le tour... Ouaip, c'est pas ma dream-team, mais j'aime cette équipe.

mardi 24 mai 2016

Jour 23 – Dessinateur favori ?

Marcelo Frusin. Zéro hésitation là encore.


Je pense que j'ai assez clairement laissé voir l'étendue de ma fixette sur la qualité d'encrage au cours de ce questionnaire, alignant des artistes aussi variés que Frusin et Immonen aux côtés de Kubert et Schultz tout en pointant dès que possible le plaisir que j'ai à lire du 2000AD et des (plus ou moins) vieux trucs en noir et blanc.
J'ai découvert Marcelo Frusin sur Hellblazer, où il accompagnait Brian Azzarello dans un drôle de road-trip. A la même période, l'autre pinceau de la série était Leonardo Manco. J'adorais Leo Manco, et son bordel sienkiewiczien à l'encrage me fascinait, mais, dans le même temps, un certain Frank Miller vivait une explosion de popularité comme il n'avait jamais eu suite au film Sin City. Je n'avais aucune idée de qui était Miller, je n'avais jamais lu sa bédé avant d'en voir l'adaptation de Robert Rodriguez, et ma lecture à-posteriori (sans compter son viol éhonté du Spirit) n'a pas fait de moi un grand fan, pour rester poli. Mais, malgré tout le mal que je peux penser de son oeuvre un général, son trait à quelque chose de dingue. Franc, brut, étrangement hésitant, aux formes pas toujours très justes, mais toujours incroyablement puissant. L'encrage va avec, évidemment, surtout sur Sin City, et m'a ramené, alors que, étudiant en art, j'essayais désespérément d'imiter Manco, à l'autre gars que j'aimais bien sur Hellblazer. Et je me suis rendu compte, en regardant mes autres lectures (Alex Maleev, David Aja,  Darwyn Cooke, Mike Mignola, Francesco Francavilla, voire John Romita Jr...), que c'était comme ça que j'aimais le plus ma bédé, et que c'est comme ça que je voulais dessiner. Des traits clairs, des formes simples très stylisées, un encrage bien opaque et un sens de la composition hyper narratif qui évite de surcharger la page.



Frusin est devenu une semi obsession, j'ai émulé son style jusqu'à péter mes crayons et retourné les rares bédés que je possédais de lui dans tous les sens. C'est lui qui m'a fait apprécier Eduardo Risso (l'autre compère iconique d'Azzarello) et poussé sur le chemin des publications noir et blanc des temps d'avant (sur lesquelles j'ai redécouvert Barry Windsor-Smith et John Buscema, mais c'est une histoire pour un autre jour).
Le pire, c'est qu'au delà de cette pure explication historique faite d'expérimentations personnelles (sachant que j'n'ai pas dessiné depuis environ 2011) et de goûts totalement inconscients (je me répète, mais : l'encrage, bordel), je n'ai strictement aucune idée de pourquoi j'aime autant Marcelo Frusin. Sûr, il a un sens narratif plus ou moins contemplatif assez fou, il excelle dans le style de récits décompressés d'Ellis (qui l'a fait venir sur Hellblazer) et Azzarello, et sa rareté dans le paysage éditorial (en dehors d'Hellblazer et Loveless, il a signé quelques histoires dans Flinch et Weird Western/War Tales chez Vertigo, deux épisodes du Magnus Robot Fighter d'Acclaim et quelques trucs épars pour Dargaud) en fait quelque chose d'éminemment précieux, mais il a un truc en plus que je suis proprement infoutu d'expliquer.


Et je m'en fous.

lundi 23 mai 2016

Jour 22 – Scénariste favori ?

J'avais dit que j'en reparlerai, mesdames-selles-sieurs, Warren Ellis.
Comme beaucoup de trucs chouettes, Warren Ellis est de ce que les anglophones nomment un "goût acquis". J'ai pas aimé tout de suite, et surtout j'ai pas compris tout de suite. La première bédé que j'ai lue de lui (en sachant qu'elle était de lui, s'entend) a un peu plus de dix ans, et date de son passage sur Ultimate Fantastic Four. Honnêtement, si j'avais trouvé ça fort bien troussé, c'était en grande partie du au trait absolument fantastique de son compère du moment, un certain Stuart Immonen (et si vous vous souvenez de ce que j'ai dit sur Nextwave, vous savez déjà ce que je pense de cette association). Sa réputation le précédait et les gars du forum Superpouvoirs, où je passais 99% de mon temps internet à l'époque, étaient à fond dessus. Moi, je savais qu'il avait créé Authority, que je connaissais de nom sans jamais avoir osé le lire (à cause de Mark Millar, un monsieur qui pointe à l'exact opposé de mon spectre ellisien en compagnie de Peter Milligan et Terry Kanavagh), mais c'était à peu près tout. La première fois qu'on m'avait parlé d'Ellis, c'est quand on m'avait présenté Transmetropolitan. J'aime pas Transmetropolitan. Son nihilisme ironique latent me déplait fortement, le caractère purement putassier de son héros également. Evidemment, c'est le principe de la série, et ça n'avait pas empêché un paquet d'idées évoquées au fil des discussions par des amis qui, eux, le lisaient, de m'intriguer tout particulièrement, mais l'auteur ne me branchait, vous l'aurez compris, pas franchement. Or donc, j'avais à ma grande surprise plutôt apprécié son passage sur Ultimate FF (que je considérais par ailleurs jusque là comme la plus faible des publications Ultimate). Et puis je suis tombé sur Planetary.

Page 20, Doc Savage et le Shadow affrontent la JLA. Ouaip. Vendu.

Rarement a-t-on l'occasion de réellement découvrir un auteur par son oeuvre phare. Et Planetary est celle de Warren Ellis. C'est son manifeste, une ode aux gloires du pulp, aux possibilités de la SF et aux superhéros dans leur globalité. En France, la publication de cette série, déjà longuement délayée outre-atlantique, s'est longtemps cantonnée à deux volumes si incomplets qu'ils étaient principalement un agglomérat de récits autocontenus, explorant des questions aussi vastes et diverses qu'une explication scientifique logique aux monstres géants, une enquête avec un flic fantôme ou une version totalement faussée des Quatre Fantastiques ('faudra que je vous explique un jour pourquoi j'adore les Quatre Fantastiques). Ca n'avançait pas beaucoup, mais c'était plein d'idées et de niveaux de lectures, ça chatouillait toutes les fibres pulpesques de mon intérieur de moi-même, c'était juste LA bédé. J'étais amoureux.
Evidemment, les délais et les affres de la traduction m'ont fait patienter un bout de temps avant un volume 3 (et j'ai fini par m'offrir l'intégrale en anglais, le dernier tome francophone étant proprement introuvable). Mais j'avais mordu à Warren Ellis, et, après Planetary, je me suis logiquement et avidement jeté sur Nextwave, newuniversal, Global Frequency, ou des écrits des débuts comme ses DV8 ou Doom 2099, dont il signa le run présidentiel, un des grands moments de mes lectures de jeunesse (je ne vous raconte pas le mindblow quand j'ai découvert qu'il en était l'auteur). Evidement, il y a de ses écrits qui m'ont bien plus marqués que d'autres, notamment l'angoissant Desolation Jones ou sa superbe nouvelle At the Zoo (Comme des animaux en cage, 2000), mais c'est surtout la lecture de son run sur Hellblazer qui m'a mis devant les réelles fixettes du monsieur. Outre l'inhérent et logique, vu son rapport SF/pulp à la littérature séquentielle, afflux de nouvelles technologies dans ses récits, c'est tout simplement sa fixation sur le personnage de Constantine qui m'a fait tiquer. Cet archétype de connard captivant aux motivations opaques, "qui sait", ce Shadow transhumaniste aux capacités irréelles, qu'elles soient technologiques ou magiques (la frontière n'est jamais bien loin chez Ellis), il en met toujours un quelque-part. La raison, toute simple, c'est qu'il a toujours voulu écrire John Constantine. La réalité, hasardeuse et injuste, c'est qu'on le lui a retiré bien trop tôt.


Pour bien comprendre, un peu d'histoire.
Après des passages réussis quoique peu remarqués à l'époque sur Doom 2099, Doc Strange et Thor (où il explore des thèmes aussi variés que les médias, les luttes de pouvoir et, déjà, une idée d'être humain augmenté par une technologie qui touche à la sorcellerie), Ellis atterrit chez Wildstorm en 1996, où il crée en compagnie d'Humberto Ramos une bande de X-Men génétiquement modifiés avec DV8 et s'attaque de front aux problèmes superhéroïques d'autorégulation en reprenant Stormwatch avec Tom Raney. Ces deux séries, aux thèmes quasi-identiques mais aux échelles radicalement opposées, vont permettre à Ellis, qui a fait ses armes dans les mondes cyberpunk de Judge Dredd Megazine, de mettre en place une problématique qu'il poursuivra toute sa carrière : le transhumanisme (ça fait quand même douze fois que j'écris ce mot), mouvement intellectuel visant à améliorer l'Homme par la technologie. Ellis aborde le thème sous tous les angles possibles, positifs, négatifs, humanistes, totalitaires, tout y passe (il se permet même d'intercaler cette préoccupation au milieu de commentaires sociaux beaucoup plus proches de nous - jetez un oeil à sa vision des leaders africains dans Astonishing X-Men: Xenogenesis, par exemple).
Stormwatch lui permet également de poser sa première alternative à John Constantine : Jack Hawksmoor. Ce monsieur, en costard noir et pieds nus à la Pirelli (manque juste des tattoos et des lunettes bicolores), parle aux villes et a un lien tout particulier avec le monde moderne. Shaman urbain au sens noble, il est tout simplement une âme de son temps, comprend les choses à un niveau bien supérieur au bien/mal superhéroïque, et se fait une espèce de voix de la raison aux motivations pas toujours claires. Les tattoos et les lunettes bicolores arriveront en 1997, Spider Jerusalem se faisant, lui, la petite voix d'une société bouffée par la grande voix défendue par Hawksmoor. Deux visions d'une même idéologie, et deux visions d'un même personnage (et deux visions qui s'allieront finalement quand il importera son sorcier des villes dans Hellblazer au travers du personnage de Map). Dans le même temps, il s'amusera aussi à (dé)tuer Wolverine en compagnie d'un alors tout jeune Leinil Francis Yu (Wolverine: Not Dead Yet) et jouera à Frankenstein avec Batman (Legends of the Dark Knight 83 et 84), il touche même un temps à Starship Troopers (d'après le film de Verhoeven) et à Solar, Man of the Atom pour le compte d'Acclaim Comics, mais ça n'a (presque) rien à voir.
En 1999, tout va s'accélérer : alors même qu'il dynamite son concept de Stormwatch avec The Authority, Ellis se voit confier Hellblazer. Consécration. Il peut enfin écrire le personnage qu'il décortique depuis si longtemps... Pendant six mois. Le monde réel rattrape en effet l'auteur et, alors qu'est prévue l'édition d'un épisode intitulé Shoot, traitant d'une fusillade entre jeunes (commentaires sociaux, disais-je), arrive de drame de Columbine. L'épisode est décommissionné (il sera finalement publié douze ans plus tard dans Hellblazer Resurrection) et Ellis claque la porte.
Ayant créé à la même période son superbe Planetary, il fit le deuil de John Constantine en le tuant métaphoriquement dans un épisode troublant où l'homme se transforme, en quelques cases, en Spider Jerusalem. La magie ne marche plus, place au nihilisme gonzo. En passant, je pense que la raison pour laquelle Ellis fit durer Transmetropolitan aussi longtemps (60 numéros, quand il dépasse rarement la dizaine) est justement la perte d'Hellblazer.


D'une certaine manière, la chose va également le libérer. Ayant exorcisé son fantôme, Ellis plonge à pieds joints dans un cycle SF "dure", signant sur les bases d'idées spatio-temporelles explorées dans Planetary des monstres comme Ministry of Space (2001) et Ocean (2004), réinvente Tony Stark dans le sublime Extremis (2005) et s'offre une fantastique virée sur les séries Ultimate entre 2004 et 2006 (j'ai déjà cité UFF, mais il pose aussi sa paluche transhumaniste sur Ultimate Iron-Man et balance douze idées géniales par pages sur sa trilogie Ultimate Gah-Lak-Tus, probablement un de mes runs favoris du monsieur). Il embrasse également son côté purement ésotérique sur des titres comme Fell, fait de la spyfy fun et débridée (mais pas idiote) avec Red (oui, la bédé qui donnera les films avec Brice Willous) et, surtout, s'acoquine dès 2001 avec un indépendant qui lui permettra d'écrire et de publier ce qu'il veut : Avatar Press. L'éditeur fera même 90% de sa comm' de l'époque sur le nom de Warren Ellis. A raison, parce que si Planetary est son manifeste artistique, il signera chez Avatar une trilogie superhéroïque qui est probablement sa plus complète exploration des incidences transhumanistes. Après avoir écrit un bon paquet d'épisodes de Gravel, un Constantine hardboiled apparu -tiens tiens- en 1999, Ellis livre Black Summer (2007), No Hero (2008) et Supergod (2009), trois étapes d'une trilogie formelle (à défaut de l'être scénaristiquement) déconstruisant tout son mythe (et se faisant un drôle de pendant à son travail contemporain chez Marvel -Nextwave et newuniversal, notamment-). On y croise toujours des relents de constantinisme (Frank Blacksmith, le mentor de Black Summer), mais même eux ne peuvent résister à l'inévitable vague de violence désespérée de l'être humain qui désire n'être qu'un être humain. Au diable l'augmentation, quitte pour cela à devoir détruire toute une civilisation voire à crucifier Dieu lui-même.
Notez également que les concepts transhumains et constantiniens se télescoperont dans celui des "century childs", dont les plus éminents représentants sont la punk Jenny Sparks de The Authority et le glacial Elijah Snow de Planetary. Et normalement, c'est là, alors que je viens d'évoquer plus ou moins la totalité de ses travaux, que vous vous rendez compte que je n'ai justement pas dit un mot ou presque sur Planetary alors que je n'ai pas arrêté de dire que Planetary, c'est son manifeste et son meilleur boulot.
Précisément.
Planetary, j'en reparlerai mardi prochain.


En attendant, trois mots : lisez Warren Ellis.
Récemment, il a été à l'origine d'une énième réinvention de Moon Knight, empruntant (évidemment) une partie de sa folie rêveuse au sorcier londonien, avant d'aller casser des trucs dans l'intrigant Karnak, inhumain rebelle devenu gourou de la sagesse (depuis décembre 2015, c'est tout frais). Deux séries à courte portée, dédiées à des personnages dont presque tout le monde se fout, mais dans lesquelles il a pu s'amuser : les coudées franches, il alterne épisodes aux thématiques touffues (le messie sans pouvoirs de Karnak) avec d'autres plus directement pop et inconséquents (comme ce nettoyage de kidnappeurs dans Moon Knight) sans jamais se laisser aller à la pure facilité d'une bonne baston séquencée. Il fait pareil avec James Bond chez Dynamite Entertainment (depuis octobre 2015, c'est tout frais aussi). Ces récits ont en commun un genre de rythme de croisière où plus rien n'est surprenant venant du monsieur (d'autant qu'il ne reste jamais plus de six épisodes sur une série), mais où tout reste savamment orchestré et définitivement excellent. Une manière de rappeler qu'il n'a plus rien à prouver ?

Et encore, je n'ai pas parlé de sa manière de faire tourner ses lecteurs en bourrique en créant de l'autopromo virale pour ses romans, ou de ses histoires de disque durs brûlés pour expliquer l'éternel hiatus de Desolation Jones, ou de son amusement à parfois se faire passer pour homonyme australien (qui est un compositeur de génie)... Warren Ellis n'a pas l'air d'un mec facile à vivre, mais c'est un auteur plein de pop et de pulp et d'idées SF punkisantes à la cool dont je pourrais parler pendant des heures, qui n'a jamais rien écrit de vraiment bassement mauvais (quoique, Wolfskin...) et qui a un look absolument fantastique.

dimanche 22 mai 2016

Jour 21 – Une suite/deuxième volume qui t'as déçue ?

Où je me souviens que j'ai piqué ce questionnaire sur un blog dédié aux super-héros. Cette question n'est évidemment paaaaas orientée du tout. Plongeons donc à pieds joints dedans : Ça.


Heroes Reborn, ou Captain America, Iron Man, Avengers et Fantastic Four "Volume 2"... Comment un éditeur, qui plus est Marvel, si attaché à sa sacro-sainte continuité (vieille alors de trente ans), a-t-il jamais pu croire que ce truc serait une bonne idée ? Un lobby de dessinateurs ? Peut-être, nous étions après-tout dans l'après-Image, mais quand même.
Je n'épiloguerais pas sur le sujet, tout simplement parce que je suis totalement incapable de décrire l'étendue de haine (justifiée!) que tout amateur de comics a envers ce truc, l'ignominie de ses scénarios et l'horreur de ses dessins. Le pire, ce que je n'ai pas connu Heroes Reborn à l'époque, je suis tombé dessus par hasard presque cinq ans plus tard, et ça m'a quand même rendu complètement fou. Ce n'est pas tant l'idée initiale qui est en faute (que j'ai toujours vu comme une bête redite d'Age of Apocalypse, mais avec les Vengeurs et les FF) que l'absence totale de qualité du produit et la bêtise avec laquelle il a été géré, annulé à la va-vite au bout de treize (trop nombreux) numéros.
Pendant un an, l'univers Marvel a fonctionné sans ses héros principaux et les lecteurs ont été séparés de leurs personnages favoris. C'était une mauvaise idée, et c'était nul. Pire, cette saga absurde fut le dernier clou dans le cercueil de Marvel, déclaré en banqueroute en décembre 1996. (Depuis, Marvel va mieux, merci bien.)

Quoiqu'elles aient été le théâtre de choses assez excellentes comme la totalité de la production Valiant, la trilogie Infinity ou Doom 2099, les amateurs s'accordent à considérer les années 90 comme l'âge sombre des comics, et si Heroes Reborn n'est pas le pire évènement isolé qu'on ait vu sortir à l'époque (les sagas symbiotes/clones chez Spider-Man, le Punisher démoniaque, tout Image/Top Cow, Jean-Paul Valley, Artemis en Wonder Woman, la mort de Superman...), il est incontestablement le point d'orgue d'une décennie de tristes décisions.

Ce qui est terrible, maintenant que j'y pense, c'est qu'entre les milliards de reboots, les crossovers à outrance, les tonnes de séries dérivées et cette envie effroyable de vouloir redéfinir trop de choses, trop souvent (deux Captain America, quarante Batmen, le retour des X-Men originaux, Peter Parker en nouveau Tony Stark, sans compter un énième DC Rebirth qui arrive...), j'ai l'impression que le paysage superhéroïque actuel est celui d'un Heroes Reborn continuel et non assumé. On est dans une optique différente, fruit du succès des adaptations cinématographiques et de superbes expériences éditoriales comme 52 (pas "New 52", 52 tout court, la série) ou les phases Initiative/Dark Reign de la fin des années 2000, mais j'ai vraiment le sentiment de vivre exactement la même chose. Et de la même qualité...

samedi 21 mai 2016

Jour 20 – Super-pouvoir favori ?

Je dis toujours intangibilité, j'hésite jamais, c'est toujours le premier auquel je pense.
J'adore ce pouvoir et, quoiqu'on le perçoive principalement comme défensif, je l'ai toujours vu comme un moyen de toucher sans être toucher, et donc paradoxalement le pouvoir le plus offensif qui soit, où l'on pourrait foncer tête baissée et n'aurait plus à craindre le moindre coup. Qui plus est, il n'est pas spécialement violent, n'implique pas de démembrer un adversaire avec la simple force de son regard ou la surpuissance d'une chiquenaude trop assurée. Phaser au travers, c'est une méthode ultra efficace pour mettre un groupe hors de combat en un minimum de temps et avec un minimum de létalité.
Et puis on peut se fondre dans le décor et les ombres (le Shadow, quelqu'un?), voir sans être vu, sans compter un paquet d'applications pratiques dans le vie de tous les jours. Sans rire, j'adore cette idée de passer naturellement de matériel à immatériel.
Techniquement, je me dit qu'un pouvoir à la Vision, permettant plus simplement de changer sa densité entre brume incandescente et rocaille diamantaire serait plus efficace et complet, mais être Kitty Pryde me suffit amplement : sans compter que nombre de versions alternatives de la demoiselle ont maîtrisé leurs pouvoir jusqu'à, justement, savoir se rendre aussi solides que La Chose (dans Ultimate FF Annual, notamment - au passage, Ultimate Kitty est le meilleur perso Marvel ever), et au delà des bêtises premier degré que je viens d'écrire (car les possibilités sont en vérité effrayantes au possible), l'intangibilité est le pouvoir parfait pour ne pas avoir à se battre et résoudre tout souci le plus pacifiquement possible. Quoi de plus naturel, en effet, que d'envoyer un ambassadeur qui ne craint rien ? Oh, sûr, on pourrait envoyer Superman, mais Superman est inhumainement puissant et résistant, il est la personnification brute de la démonstration de force. Kitty, elle, est proprement intouchable. Son pouvoir semble inoffensif au possible, mais il représente une force tranquille littéralement inarrêtable. En fait, elle pue le charisme, et si elle reste à ce jour le seul personnage des X-Men qu'on ait jamais imaginé avoir une carrière politique à succès (dans X-Men The End), ce n'est pas pour rien. L'intangibilité n'est pas un pouvoir agressif, c'est discret, mais quand on l'utilise, c'est particulièrement graphique. C'est à la fois tout à fait rassurant et très très impressionnant. Force tranquille, disais-je, et c'est surtout cette idée qui me plait.

Et, si la question avait été "quel pouvoir je veux", c'est précisément là que mon cerveau se serait mis en route au delà du simple plaisir bédéphile de s'imaginer en X-Men et de tout casser (ou pas, justement).
Le Shadow a une autre caractéristique que celle qui lui donne son nom, une qu'il partage avec Jack Hawksmoor, Elijah Snow, Charles Szasz, Layla Miller et un tas de personnages avec lesquels je m'identifie vraiment et dont j'ai déjà évoqué les particularités.
Je vois dans l'intangibilité des douzaines d'applications physiques et pratiques et c'est réellement mon superpouvoir favori, aucun doute là dessus, mais si je devais me choisir un trait spécifique, quel qu'il soit, celui que je voudrais vraiment avoir, c'est la connaissance.

vendredi 20 mai 2016

Jour 19 – Ville/univers de bédé dans lequel tu aimerais vivre ?

Des fois, je me dis que les Lost Lands ou Pellucidar sont une option totalement viable, que j'y verrais exactement toutes les choses qui me font rêver et que je pourrais.... Mais non. Soyons réaliste. Je boite, suis à moitié sourd, mon ordinateur est mon outil de travail principal ; moi, dans la jungle ? Ah !
Si les romances planétaires et tarzanides sont de loin mes récits favoris, les mondes qui m'ont toujours le plus intrigués étaient ceux imaginés par les auteurs de science-fiction. De l'Histoire du futur d'Asimov à la Mars de Bradbury en passant par les vaisseaux-villes (voire planètes) de Clarke ou Niven, ces trucs-là m'intriguent autant par les aventures qui s'y déroulent que par les implications sociales de leurs avancées technologiques. La fiction spéculative, c'est mon pied à l'étrier littéraire, et dans le domaine séquentiel, un monde m'a toujours fait rêver au delà de tous les autres : Marvel 2099.

Evidemment, il faut remettre en perspective la découverte de ce monde par un gamin de dix ans bercé de SF pop et fluo du début des nineties, mais en y réfléchissant, c'est presque logique.
Un monde à la technologie florissante, aux larges panneaux holographiques, avec le cyberespace cobayesque où on télécharge sa conscience dans un clip de rock hippie, les héros qui flottent au dessus de nos têtes, les voitures volantes et tout le tremblement. Après, c'est du cyberpunk de bédé (pire, de comics des 90's!), auquel il faut ajouter le désert madmaxien au dehors, c'est complètement craqué, crade au possible et le fond de la ville est aussi ras que ses hauteurs sont luxueuses. Les corpos sont dégueulasses et tout le monde est exploité, chair à canon électrice à la botte d'un modèle économique inégalitaire issu des peurs et tensions des 80's, poussé ici à l'extrême par les 90's rugissantes. Sauf que Peter "PAD" David, le créateur de ce truc, savait très bien ce qu'il faisait, et que cet univers paraissait vrai. Mieux, c'est l'un des rares dans lesquels les arcanes politiques avaient un réel intérêt et de vraies répercussions (le coup d'état de Fatalis), et surtout, étalé sur juste quatre séries principales et quelques à côtés plus ou moins utiles et viables, c'était un exemple de monde étendu qui marchait vraiment, à une époque où chacun faisait sa popote dans son coin (les crossovers inter-X-Men sont l'une des sept plaies des nineties). Mark Millar avouera lui-même qu'il voulait, à l'issue de Civil War, un Marvel où les changements se ressentaient d'une série à l'autre et où la politique de l'univers avait un réel impact, à l'image de 2099 (ce qui me fait penser que, pour un auteur qui a fait ses armes sur 2000AD, 2099 devait en effet avoir une certaine résonance).
Enfin bref, ce monde me fascine. Il n'est pas cool, pas franchement accueillant, mais il est construit et crédible. Remplaçons donc le coeur de l'Afrique par une jungle urbaine futuriste et lançons-nous du haut de ses immeubles de mille étages : entre tous les univers sauvages à moitié dingues dans lesquels je pourrais être tenté de mettre les pieds, 2099 est de loin celui qui à ma préférence. Il l'a depuis que j'ai dix ans.

Et à bien y réfléchir, par rapport aux grands-écarts un peu fous qu'on pourrait faire entre notre monde et un imaginaire, il me parait même un choix plutôt sage... du moins autant qu'on puisse considérer "sage" l'idée de vivre dans une bédé...