jeudi 5 mai 2016

Jour 04 - un plaisir coupable ?

Uncle Scrooge et, en fait, tous les canards de Disney. Mais surtout lui.

Il y a souvent un soupçon d'incompréhension quand on évoque le cas des bandes dessinées Disney. Super Picsou Géant, Le Journal de Mickey, chez nous, c'est des trucs de gosses, et... Et c'est vrai. Partout dans le monde, en fait, ces bandes dessinées sont destinées au jeune public. Est-ce à dire que leurs auteurs sont incapables de proposer quelque-chose qui pisse plus loin que le sempiternel gag en neuf cases pleine page avec Dingo l'imbécile ou les trois neveux qui cassent un truc ? Grands Dieux non.
Il y a deux écoles sur la BD Disney. Nous, on en connait surtout le versant italien, à qui on doit Fantomiald (un personnage au passage quasi-inconnu aux US) et les histoires traditionnellement imprimées dans Mickey Parade/Mystère et Super Picsou Géant. Les américains ont eu Carl Barks et La Bande à Picsou.


Carl Barks entre chez Disney en 1935 (il a alors 24 ans) comme animateur. Il y dessine les boucles secondaires des décors et ce genre de petites choses qui font fourmiller l'écran mais dont le spectateur ne se rend pas toujours compte de la qualité. Prenant de l'assurance, il se retrouve à donner quelques idées de scénarios pour les épisodes solo de Donald Duck, personnage créé en 1934 et qui obtient sa propre série en 1937. Il soumet également quelques idées de gags pour les strips du personnage avant, en 1942, de dessiner L'or des pirates (Donald Duck Finds Pirate Gold) sur un scénario de Bob Karp. Il s'agit de la toute première aventure, au sens large, de Donald et de ses neveux. Peu après, il démissionne, parce que son travail avait été critiqué (comme son personnage, Carl Barks est aussi un grand colérique).
C'est cet évènement qui va tout changer.

A peine sorti de chez Disney, il est engagé par Western Publishing, l'éditeur de L'or des pirates et possesseur des licences Disney au format comics à l'époque (via son enseigne Gold Key et en partenariat avec Dell Comics - cette histoire est aussi passionnante que compliquée, je vous la raconterais peut-être, un jour). Barks désire alors y créer ses propres personnages, mais on lui confie logiquement Donald, en lui promettant de le laisser tout gérer seul, scénario, pagination, dessin. Tout. Il signe ses premières planches pour Western Publishing en 1943 (The Victory Garden, une histoire toute simple directement tirée des cartoons du personnage) et gonflera peu à peu l'univers de Donald, créant le cousin Gontran Bonheur, l'organisation des Castors Juniors, et, surtout, Balthazar Picsou (en 1947, dans un épisode de Noël). C'est l'apparition de ce vieil avare qui va donner une tournure toute particulière au Donaldville de Barks. Il lui donne une idée géniale : refaire le coup de L'or des pirates.
Ainsi, alors que Donald continuera d'avoir des histoires toutes donaldiennes, l'Oncle Picsou se verra offrir sa propre série, ses propres ennemis (Gripsou, les Rapetous, Miss Tick...) et, surtout, un sens aiguë de l'aventure. Picsou est un ancien pionnier, chercheur d'or et aventurier, typique des serials de son temps. Dès sa deuxième apparition, Le secret du vieux château (The Old Castle's Secret, 1948), Barks en creuse l'histoire et celle du clan McPicsou (McDuck en VO) et va lui donner tous les ressorts du pulp d'action et d'aventure qu'il lisait étant jeune. Il offrira finalement au personnage près de soixante-dix numéros (en parallèle de ses épisodes de Donald Duck) avant de passer la main, en 1966.

Resté longtemps inconnu (les publications Dell ne comportaient aucun crédit, juste un numéro de série), le nom de Carl Barks est révélé en 1970 par Les Daniels dans Comixs: A History of Comic Books in America. Dès lors, celui qu'on surnommait "The Good Duck Artist" va devenir une figure emblématique de la bande dessinée américaine.
Son personnage, lui, vivra plus de bas que de hauts pendant une vingtaine d'années, victime des aléas éditoriaux de Disney. Finalement, en 1986, une maison édition sort de terre, nommée Gladstone Publishing (d'après le nom anglophone de Gontran), et relance toutes les séries de Western Publishing. Un jeune artiste, passionné par le travail de Carl Barks, sonne alors à la porte : Don Rosa.
Si Barks est l'inventeur de Picsou, c'est Rosa qui le rendra réellement immortel.

Travaillant d'abord, à partir de 1987, sur la série Uncle Scrooge (qui, par une volonté de publication, conserva la numérotation de Western Publishing -c'est toujours le cas aujourd'hui, après des passages chez Boom! puis IDW-), Rosa va pousser la logique de Barks d'une Histoire des Canards jusqu'au bout. Partant du principe que les BD de Barks fonctionnent de manière chronologique, il établit que Picsou s'est bel et bien révélé à Donald en 1947, et entreprend de raconter les origines du personnage avant ce point.
Le résultat est probablement l'une des meilleures bande dessinées jamais produites (et je pèse mes mots) : La jeunesse de Picsou (The Life and Times of Scrooge McDuck, 1992-94). Une biographie complètement folle courant de 1877 à 1947, récompensée par un Eisner Award en 1995 et publiée en une trentaine de langues au fil des années. En France, c'est dans Picsou Magazine qu'elle parait, entre 1994 et 1996, avant d'être rééditée en album.
Evidemment, la BD de Rosa profitait également de l'explosion des séries animées de Disney, notamment La Bande à Picsou (DuckTales, 1987-90), probablement l'une des meilleures séries d'aventures jeunesse du tournant des années 90, mais on va éviter de s'éparpiller...


L'Oncle Picsou, mon "plaisir coupable" bédéphile, donc ? Pas vraiment. C'est l'image d'Epinal des publications Disney qui en fait un monstre dans mon placard, mais j'assume totalement mon amour pour le canard acariâtre de Barks et Rosa. Pensez donc : du pulp d'aventure classique et bien troussé, avec des ramifications dans tous les sens et une aura qui touche, entre autres, jusqu'aux désormais incontournables du cinéma que sont les Indiana Jones. Ca devait finir dans ma bibliothèque.

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