vendredi 13 mai 2016

Jour 12 – Une bédé que tout le monde devrait lire ?

Il y a longtemps, j'ai écrit quelques lignes sur un dessin-animé de bruit et de fureur, avec des mondes engloutis, des dinosaures et des grosses voitures. J'avais alors soigneusement contourné le sujet de la BD dont il était adapté, d'abord pour des raisons scénaristiques (les trames divergent dès le début), ensuite parce que j'étais certain d'y revenir un jour. Ce jour, c'est aujourd'hui.
Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, Les Chroniques de l'ère xénozoïque de Mark Schultz.


Mark Schultz est un illustrateur farci de pulp et d'anthologies des 60/70's, aussi son style fonctionne aussi bien sur Conan (on l'a vu à l'oeuvre dans le premier tome de l'intégrale dédiée au cimmérien chez Bragelonne) que The Spirit (pour lequel il signa quelques couvertures dans les années 90). Mark Schultz est aussi un conteur génial qu'on a vu se balader entre les genres, d'Alien à Superman, jusqu'à reprendre le strip du Prince Valiant (depuis 2004). Par contre, Mark Schultz combine rarement les deux, aussi sa pratique de graphiste séquentiel se résume aux Xenozoic Tales, une saga post-apo un brin foutraque qui mélange plein d'influences rigolotes dans un joyeux bordel au destin éditorial quelque peu... diffus.
Apparues pour la première fois dans l'anthologie Death Rattle chez Kitchen Sink Press en 1986, Les Chroniques de l'ère Xénozoïque comptent quatorze petits épisodes publiés sur dix ans. Les 300 pages (au total) de folie séquentielle qu'elles représentent ont toutefois eu un impact assez considérable sur le petit monde de la bande dessinée (indépendante) américaine : Schultz étant un nom (re)connu, sa création a vite attisé convoitise et curiosité, et amassé un paquet de trophées aux conventions locales. Le truc, c'est que Mark Schultz, je suis certain que c'est un nom qui ne vous dit pas grand chose...
Sa BD, par contre...

Mélangeant un peu (beaucoup) du Kamandi de Jack Kirby dans un bouillon madmaxo-turokien des plus inventifs, Les Chroniques de l'ère Xénozoïque sont un ensemble de récits typiquement pulp, plus ou moins liés par une intrigue globale mais pensés comme des épisodes uniques, présentant les exploits de Jack Tenrec, un mécano bourrin et bourru dans un monde où le big block 'ricain est le meilleur moyen de défense contre les mastodontes préhistoriques. Puisant son inspiration scénaristique dans les plus belles pages de Pellucidar si Doc Savage avait été y user ses semelles, et sa puissance graphique dans les magazines pour adultes en noir et blanc comme Vampirella ou The Savage Sword of Conan, Schultz crée un monde luxuriant, fantastique et aguicheur comme rarement, dans lequel dangers et les mystères sont le fruit de décennies de catastrophes nucléaires et telluriques. L'Amérique du nord a prit les apparences de la préhistoire de Rahan, peuplée de clans rassemblés autour d'une pratique (les bourgeois, les paysans, les pêcheurs...) en perpétuels conflits.
Tenrec y est une figure connue et le garant des "anciennes voies", détenteur des clés d'une technologie oubliée par ses contemporains (le moteur à explosion) et intermédiaire privilégier entre des hommes désireux de conserver le peu qui subsiste de leur société pré-atomique et les nombreuses créatures plus ou moins mutantes apparues post-catastrophe. Une sorte de Turok de pétrole avec l'humeur d'un buffle bougon, quoi. Son petit quotidien est grandement chamboulé par l'apparition d'Hannah Dundee, scientifique et politicienne venue d'une terre "par delà les eaux" à laquelle il servira de guide, contrait et forcé. Elle, c'est Dejah Thoris avec un flingue, une Jirel de Joiry à la chevelure d'ébène sans la moindre connaissance de l'environnement dans lequel vit Tenrec, le point d'entrée du lecteur et la véritable héroïne de toute cette histoire.

Les influences ne me sortent pas uniquement de la tête pour la beauté de la formule comparative. Schultz les porte en étendard, Hannah vient de la cité de Wassoon, les dinos ont des noms inspirés par ceux qu'Andar et Turok donnent à ceux des Lost Lands, Tenrec ressemble à un Mel Gibson shamanique gonflé à la créatine, et les hommes-lézards télépathes qu'il arrive de croiser sont indéniablement des descendants mutants de ceux qu'a combattu Kull. Tout est fait pour être à la fois totalement perdu dans un monde sauvage et nouveau, et qu'on sache pourtant parfaitement où l'on est et à quoi s'attendre.
La plupart des courtes histoires tournent d'ailleurs autour de ce principe, et le but pour le lecteur va être de deviner comment ces hommes du futur utilisent la technologie qu'il leur reste, comment ils reconstruisent leur monde, et comment ils s'adaptent à de nouveaux dangers. Car certes, la catastrophe est vieille de quelques siècles au moment de l'intrigue, mais l'inexpérience d'Hannah avec le monde qui l'entoure sert de révélateur, et Schultz joue avec les poncifs du genre post-apo comme peu d'auteurs ont su le faire. Evidemment, tout l'art de cette BD va être de le faire de la manière la plus divertissante qui soit, sans jamais toutefois oublier de faire avancer des intrigues plus globales et les enjeux politiques d'une lutte d'influence qui, dès le début, sème les pistes par douzaines. L'identité de Tenrec, son importance sans pourtant être un représentant politique de la ville, la mission d'Hannah, sans oublier évidement les opposants tant à l'un qu'à l'autre, et l'inévitable rapprochement entre les deux personnages ; les Xenozoic Tales ne manquent de rien. Si elles ont cinq Eisner Awards à leur nom, c'est pas pour rien.


Ceci étant, ne nous leurrons pas, si l'univers est fantastique et l'histoire de très grande qualité, l'intérêt numéro un, la raison principale pour mettre le nez dans ces pages, c'est l'art de Mark Schultz. En tant qu'illustrateur, son storytelling pourrait être bourré d'effets de styles et devenir totalement imbuvable, mais c'est justement tout l'inverse, la composition étant académique au possible, avec de belles cases à plat. La lisibilité n'est jamais prise en défaut par le niveau de détail, et le trait, renforcé par l'usage du noir et blanc, est d'une puissance saisissante, donnant au tout une impression de solidité quasi minérale, tout à fait raccord avec le style même du dessin. Car si les inspiration du scénario sont clairement revendiquées, les modèles de l'artiste sont tout aussi pleinement affichés. Il y a du Frazetta dans les formes, du Alex Raymond dans l'encrage, du Hal Foster dans le fourmillement de détails, et le spectre de James Allen St. John, le premier illustrateur d'Edgar Rice Burroughs, flotte sur chaque case ou presque. C'est musculeux et fiévreux dans la technique, avec une surcouche inévitable et évidente de Will Eisner dans les décors et la composition. C'est beau, et soyons honnête, terriblement sexy. Schultz dessine comme il l'entend, et il ne se prive de rien. La BD pop et pulp dans toute sa démesurée splendeur.

Là. Je pense que j'ai épuisé mon stock de superlatifs. Concluons : tout le monde devrait lire Les Chroniques de l'ère Xénozoïque. J'ai dit.
Chanceux vous êtes, ça existe en grosse intégrale hardcover très très classe.

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