mercredi 29 juin 2016

Random work of wow : De Dickens à Star Wars

Le serial est une forme narrative toute particulière.
Aujourd'hui, elle désigne surtout pour le spectateur un format cinématographique à petit budget fonctionnant selon le principe du feuilleton, un modèle qui vécut son apogée dans les salles obscures du début du XXème siècle.
Tiré des roman-feuilletons publiés dans des périodiques depuis alors plus d'un siècle, le serial répondait à des impératifs bien précis, notamment sa durée (tant le nombre d'épisodes que leur minutage propre) et son modèle narratif, les épisodes devant autant que faire se peut se terminer sur un cliffhanger afin de donner envie au spectateur (payant) de voir la suite. De fait, les genre aventureux étaient les plus représentés, s'inspirant là encore des récits de prose de l'époque (les westerns, la SF naissante...) notamment des pulps (Tarzan et le Shadow apparaîtront plus d'une fois sur les écrans), voire des comic strips (Flash Gordon, le Phantom) ou des comic books alors tout jeunes et autrement moins bien considérés que leurs cousins des journaux (Superman -avec des scènes de vol animées reprenant le travail des frères Fleischer sur le personnage-, Batman, ou encore Captain Marvel auront droit à leurs séries).
La visée était purement récréationnelle, placée en première partie d'un film plus long et à plus gros budget selon le format double feature commun à l'époque. Avec le temps, le serial, de plus en plus populaire et de plus en plus cher, laissera la place à un type de programme réservé jusque là aux avant-séances (en compagnie des flash info) : les cartoons, plus courts et moins compliqués à produire.

Longtemps ignoré voire méprisé par les historiens du cinéma, le serial est aujourd'hui un objet d'attention pour les amateurs de genre et de vieilleries oubliées, bien aidés par la réévaluation à laquelle le format eut droit grâce à la télévision (modèle de diffusion autrement plus propice au récit épisodique) et, surtout, à de nombreux cinéastes inspirés...

Et d'habiles vidéastes se proposent parfois d'en faire une étude sur à peine sept minutes et fourmillant pourtant de détails croustillants.

mercredi 22 juin 2016

Klarkash-Ton et les mystères de l'édition

La semaine dernière (le 17 juin 2016 pour être exact), l'éditeur Mnémos terminait une campagne de financement participatif au succès fulgurant et monstrueusement efficace, culminant à près de 1600% (mille six-cent!). La raison? Il s'agissait de publier, pour la première fois en France, l'intégrale des récits fantasy de Clark Ashton Smith, la dernière tête de la sainte trinité de Weird Tales, grand ami d'Howard Philip Lovecraft et Robert E. Howard.


À sa mort en 1961, Klarkash-Ton, ainsi que le surnommait Lovecraft, était encore totalement inconnu en France. La situation de ses compères n'était pas beaucoup plus reluisante, puisque Howard n'avait pas encore eu droit à une publication française (Conan ne sera traduit qu'en 1972) et que Lovecraft lui-même commençait à peine à pointer le bout de son nez (suite à la parution de La Couleur tombée du ciel chez Denoel (Présence du Futur #4) en 1954). Il fallait, pour ce type de littérature très connotée, compter sur les collections poches, et c'est la science-fiction qui était alors en vogue, notamment grâce à la machine Fleuve Noir Anticipation. Le fantastique était un genre qu'on réservait volontiers aux auteurs du XIXème et la fantasy, patiemment, attendait son heure (Le Hobbit ne verra sa première traduction en France qu'en 1969, Le Seigneur des Anneaux en 72, et si les cycles SF de Poul Anderson font alors un malheur -Les Croisés du Cosmos, 1962 ; La Patrouille du temps, 1965-, son "manifeste" fantasy, Trois Coeurs Trois Lions, ne sera traduit qu'en 1986 -son pendant nordique, L'Epée brisée, contemporain des Anneaux et considéré à juste titre comme une des pièces premières de la fantasy moderne, attendra quant à lui 2014, c'est dire).

Et puis au delà du genre auquel il appartient et ses origines pulp, il y a une petite chose extrêmement importante à prendre en compte concernant Smith : aux Etats-Unis, il fut surtout considéré comme un poète. Qui plus est, sa courte carrière (1912-1935, il arrêta d'écrire après les décès successifs de ses deux compères pour se consacrer à la sculpture) n'en fit pas un auteur spécialement prolifique. La publication de Clark Ashton Smith le noveliste s'avère donc être un affaire d'archiviste des deux côtés de l'Atlantique. Débutée en 1970 avec la parution de Zothique chez Balantine (au format paperback, équivalent local du poche, et avec de superbes couvertures de Bruce Pennington), il fallut attendre les recueils de Night Shade Books (The Collected Fantasies of Clark Ashton Smith) publiés entre 2007 et 2008 pour voir l'intégralité des écrits fantastiques de l'auteur compilés dans sa langue d'origine.
En France, l'aventure éditoriale de Smith commence sensiblement au même moment : un premier et gros volume, Autres Dimensions, était publié chez Christian Bourgois en 1971. Il est intéressant de noter qu'il ne contient aucun des récits les plus connus du monsieur, rassemblant des nouvelles éthérés assez proches de ses écrits poétiques. Confidentiel et jamais réédité, il appartient aujourd'hui à cette catégorie de livres fantômes absolument introuvables, sinon à prix d'or. Il faudra en fait attendre les années 80 pour que C.A. Smith se trouve un public en francophonie. Bien aidée par le succès de Conan en salles, l'heroic fantasy explose, et quoi de mieux pour capitaliser sur la soudaine reconnaissance d'Howard que de publier l'un de ses grands amis ? La Librairie des Champs Elysées s'était chargé d'ouvrir le terrain en traduisant deux des volumes de 1970 de Balantine, Zothique (1978) et Poséidonis (1981), curieusement tronqués de certaines nouvelles, dans sa collection Le Masque Fantastique (qui verra par la suite également apparaître Lovecraft à son catalogue), mais c'est surtout entre 1985 et 1989 que Smith prend pied dans l'hexagone, lorsque les Nouvelles Editions Oswald en publient huit volumes (L'Ile inconnue, Ubbo Sathla, L'Empire des nécromants, La Gorgone, Le Dieu carnivore (en deux tomes), Les Abominations de Yondo et Morthylla). Le succès est au rendez-vous et, si elle n'est pas aussi invisible que les Autres Dimensions de 1971, cette série est désormais au moins aussi chère, avec des tarifs qui peuvent varier entre 80 et 150€ (pièce!) sur les sites d'enchères. A raison, quelque part, car non contente de proposer alors un éventail quasi complet des nouvelles fantasy et fantastique de Smith, NéO se paye le luxe de couvertures pulp hautement qualitatives (par Jean-Michel Nicollet, j'en ai déjà parlé) et, surtout, de textes explicatifs fourmillant d'informations. Il est à ce titre important de noter que NéO fit de même avec les récits moins connus d'Howard (publiant, en fait, la totalité de ceux qui ne concernent pas Conan), et offrit également une nouvelle vitrine à Lovecraft (alors au fait de sa popularité suite à la traduction du jeu de rôle L'Appel de Cthulhu).
Parallèlement, on soulignera l'entêtement avec lequel Jacques Sadoul fera la promotion de l'auteur dans ses nombreuses anthologies pulp (Les Meilleures récits de...) des années 70 et 80 et jusqu'à son Histoire de la Science-Fiction en 2000, publiant (entre autres) pas moins de trois fois La Mort d'Illalotha, qui reste l'un des textes les plus populaires de Smith (et dont le style très graphique en fait à mes yeux l'une des principales inspirations de la scène de la mort de Lucy dans le Dracula de Coppola).

Après 1989, toutefois, un lourd silence s'abat sur l'oeuvre de Smith.
Quelques petits éditeurs s'essaient à des publications plus ou moins artistiques, à l'image de L'Oeil du Sphinx, désireux de faire découvrir aux lecteurs francophones sa poésie encore confidentielle (tout juste un texte ou deux dans la revue Antarès en 1979), ou son travail pictural, mais sans grande publicité ni réel impact public. La Clef d'Argent publiera par ailleurs l'intégrale de ses poèmes dans Nostalgie de l'inconnu en 1990 (réédité en 2001), et une plus qu'intrigante quoique terriblement courte (une cinquantaine de pages) étude intitulée Les Mondes perdus de Clark Ashton Smith en 2004 (réédité en 2007).
Et puis, soudain, en 2013, parait La Flamme chantante chez Actes Sud. Un projet étrange, agrémenté d'une nouvelle traduction, publié dans un format plaquette (étroit et haut) relativement cher (quinze euros pour une centaine de pages) plus que surprenant. Une belle oeuvre, très franchement, et qui marque le retour de Smith chez un grand éditeur, mais qui m'a toujours semblé assez vaine : quoique disposant d'une nouvelle traduction et d'un format original, elle n'en reste pas moins une simple version de luxe d'une nouvelle qu'on trouvait déjà non seulement chez NéO (dans L'Ile inconnue) mais aussi et surtout chez Sadoul (dans Les Meilleurs récits de Wonder Stories, magazine où elle fut publiée en deux parties en juillet et novembre 1931) pour trois fois rien. Le choix du récit en lui-même est par ailleurs assez significatif de la relative incompréhension de la francophonie pour Klarkash-Ton. Publiée, je viens de le dire, dans Wonder Stories plutôt dans Weird Tales, La Flamme chantante s'approche plus de la science-fantasy rêveuse d'Abraham Merritt (jusqu'aux dimensions parallèles pour encadrer le récit, à l'image de La Nef d'Ishtar ou du Gouffre de la Lune) que du fantastique fantômatique qu'on connait de Smith.


Alors... Alors trois ans après l'étrange expérience d'Actes Sud, Mnémos lançait une campagne Ulule pour une nouvelle traduction de l'intégralité des textes de Smith, et bouclait son financement en quelques heures (ressemblant au final près de 80 000 euros sur les 4000 demandés), histoire de (se) prouver que Smith, malgré une édition plus que chaotique en France, n'est pas un auteur à deux sous. Pour la première fois, les cycles Zothique (le continent de la fin des temps) et Hyperborée (terre d'horreurs cosmiques lovecraftienne et de barbares howardiens) seront accompagnés d'Averoigne (cycle gallo-romain ironiquement totalement inconnu en France ou presque) et Poséidonis (évidente et théologique Atlantis), en entier, nouvelles et poèmes confondus, dans un format luxe, cartographié, et abondamment illustré (à titre posthume) par Zdzislaw Beksinski, artiste surréaliste polonais plus que recommandable. J'ai hâte.

samedi 18 juin 2016

De l'importance d'une couleur

Je lisais un scan flou et grisâtre d'un épisode de Tarzan par Joe Kubert quand, alors que mon esprit vagabondait entre les cases, j'ai eu l'étrange impression de lire une scène connue, mais que j'avais vue sous une autre couleur.
Evidemment, "scan flou et grisâtre", mais quand j'ai sorti mon gros tome de l'intégrale du monsieur pour vérifier (ce qui me fait penser qu'un omnibus sort en août... je suis tentation...), la page m'a véritablement parue d'une autre couleur. Différence de papier, qualité de l'impression, âge de l'impression au moment du scan, qualité du scan, tout ça créait vraiment deux scènes identiques mais totalement différentes.
Ceci étant, tout ça vient de l'opposition entre un piratage de vieille bédé et une belle réimpression moderne, que se passe-t-il quand deux éditions empruntent vraiment deux voies colorées différentes ? Par un heureux hasard, il se trouve qu'on doit à Dark Horse et à Tarzan ce type de comparaison involontaire... et pas toujours flatteuse : la réédition de 1999, au format digest, des épisodes de Russ Manning sur la série de Gold Key dans les années 60.

Cette collection visait, sur quelques volumes, à réimprimer les adaptations des romans de Burroughs par Manning. Des histoires souvent courtes (compressées la plupart du temps en un unique numéro de 24 pages) et riches en rebondissements dont l'impact visuel devait autant à la frilosité de l'époque qu'aux relatives méconnaissances des artistes et aux techniques d'impressions quadrichromes. Pour faire simple, c'était vibrant, mais c'était aussi un poil n'importe-quoi.

Gold Key

Dark Horse

Dark Horse s'est donc attaché à retravailler ces épisodes d'une manière plus réaliste. Qui plus est, le format plus petit que celui d'origine permettait une impression sur un papier d'excellente qualité, et avec l'étalage complet des couleurs des presses modernes. Là où tout cela devient curieusement intéressant (et énervant), c'est évidemment à la comparaison (c'est un peu ce que je vend depuis le début de ce post). Les coloristes, Jason Hvam et Keith Wood, ne se sont absolument pas basés sur les planches de Gold Key pour travailler leurs palettes (il est même possible que les deux artistes ne les aient tout simplement jamais vues). Le procédé permet une approche fraîche des histoires, et le rééditions fut chaudement accueillie tant par les fans que les néophytes, mais tout n'est donc, disais-je, pas qu'amélioration.

Dans cette catégorie, toutefois, on notera en particulier la couleur de peau de Tarzan, qui s'offre un léger mais logique bronzage, et l'environnement évidemment plus réaliste, avec une jungle bien verte et des cieux bien bleus. On verra aussi quelques changements totalement arbitraires, comme une couleur de cheveux (notamment chez Korak et La) ou de vêtements (la robe rose de Miriam devenue violette, ou les uniformes khaki passant au bleu), et les bulles uniformément blanches là où les couleurs variaient du jaune au vert chez Gold Key. Des détails qui passent totalement inaperçus à la lecture, et c'est bien là toute la qualité de cette recoloration : elle passe parfaitement bien. C'est aussi son plus gros défaut.

Voyez-vous, l'intérêt principal est évidemment de ne pas choquer l'oeil avec une luxuriance rosée, mais en échange, c'est un poil monotone et, sur petit format, ça mange parfois les détails du décor.
Non que la recoloration soit mauvaise, mais elle enlève le côté vibrant de la parution originale, une verve aventureuse qui, tristement, disparaît... Et avec elle, un certain respect du matériau de base. Illustrons, avec un triceratops, une femme singe et une végétation préhistorique (tiré de Tarzan the Terrible, où le seigneur des singes visite Pal-ul-don) :

Gold Key


Dark Horse

Et là, tristement, on tire vers l'erreur pure et simple. Burroughs avait en effet créé pour cette terre perdue un large panel de créatures totalement fantastiques, tirées certes de monstres (pré)existants mais néanmoins totalement imaginaires, que Manning et ses coloristes avaient reproduits le plus fidèlement possible. Le triceratops, par exemple, était bel et bien présenté avec une collerette flamboyante, et si ce changement n'a finalement que peu d'importance vu celle du bestiau dans l'histoire, il en va tout autrement des deux autres figures. Le sauvage au devant du monstre est un Ho-don, espèce néandertalienne décrite comme aussi blanche que Tarzan, et la demoiselle qui accompagne Lord Greystoke est une Waz-don, à fourrure drue et noire (notez que ces deux modèles d'humanoïdes sont munies de queues préhensiles). Dans la version Gold Key, ces disparités, qui sont la source d'une intense rivalité entre les deux espèces, sont reproduites avec un fort contraste. Mais chez Dark Horse, rien. C'est la raison principale qui me fait penser que les originaux n'ont pas été consultés avant recoloration, mais quand bien même, leurs différences sont textuellement évoquées dans le récit. Quoi qu'il en soit, on se retrouve avec un Hu-don à la peau bien plus foncée qu'elle ne devrait l'être, et inversement pour mademoiselle Waz-don... Et semblant de rien, ce dinosaure tout gris éléphantesque me dérange quand même beaucoup : les "gryfs", ainsi que les appellent la population de Pal-ul-don, sont bel et bien décrits comme des triceratops, mais n'en sont pas, et on savait par ailleurs très bien en 1999 qu'un dinosaure n'avait pas la couleur d'un rhinocéros. Ceci pose un autre problème quand intervient le "jato", créature décrite par Burroughs comme un croisement entre un tigre et un lion, avec les rayures de l'un et la crinière de l'autre. Dans la version Dark Horse, les rayures passent purement et simplement à la trappe, exactement à la manière des vêtement de Jane, souvent des peaux de léopard chez Gold Key et qui deviennent inidentifiablement brunes et unies chez Dark Horse.

Ce qui est d'autant plus désolant, c'est que lors de leurs réimpressions du run de Joe Kubert (publié dans les années 70 chez DC Comics) cinq ans plus tard, les coloristes de chez Dark Horse se reporteront aux teintes d'origine, offrant à la réédition un "simple" coup de polish et une impression d'excellente qualité, rendant réellement justice au travail d'origine.
Evidemment, la majeure partie des détails que je cite ici n'auront d'importance que pour ceux qui savent et/ou qui s'amusent à faire la comparaison, car là est tout l'enjeu : qui possède encore les originaux de ces aventures ? En vérité, cette réédition est juste adaptée à la vision moins romanesque et plus réaliste d'un public trente ans plus jeune, et sans doute l'oeuvre de coloristes plus habitués à travailler sur du super-héros de la fin des années 90 que sur du pulp en slip à fourrure des sixties.
Mais.
Je l'ai dit plus haut, je ne trouve pas la coloration mauvaise en soi, mais elle me turlupine. Et elle me turlupine bien au delà de ma connaissance des bédés d'origine. Si justement il n'était question que d'erreurs pour fans aguerris, je ne me serais pas fendu d'un article. Non, cette version digest souffre aussi d'un gros soucis de lisibilité, soucis dont on ne se rend réellement compte qu'à la comparaison mais qui est bel et bien présent. Evidemment, le trait de Manning est toujours aussi expressif et la qualité de l'impression affine grandement le dessin (que les méthodes des années 60 avaient tendance à rendre un peu flou), mais la nouvelle palette manque de feu et de contrastes. Elle est terne et sombre, le panel de couleur est moins large et il manque clairement quelque chose, mais, surtout, le petit format aurait vraiment gagné en lisibilité avec une palette plus large... Comme celle qu'aurait proposée une simple mise à jour des couleurs d'origine, par exemple.
C'est en se faisant ce genre de remarque qu'on creuse un peu et qu'on trouve plein de petits soucis qui n'ont l'air de rien mais qui deviennent vite très importants, et qu'on fait la différence entre un simple scan flou qui change à demi sa perception d'une bédé qu'on connait bien, et un réel défaut de coloration.

mercredi 15 juin 2016

Random work of wow : Jurassic World's Apatosaurus

Jurassic World est un monstre technologique. Un blockbuster numérique moderne typique (ce qui n'est pas forcément un défaut), plein d'images de synthèse et de trouvailles visuelles qu'on aurait eu bien du mal à réaliser, disons, vingt ans plus tôt, dans l'original de Steven Spielberg. Tout n'est cependant pas numérique, et il n'est pas rare de tomber au détour du web sur d'intrigantes (et diablement excitantes) explication sur comment-qu'on-fait plein d'autres petits trucs sans recourir à un ordinateur. Enfin, "petits trucs"... On parle quand même d'un Apatosaure...


Dans le film, l'Homme-qui-murmurait-à-l'oreille-des-Raptors en trouve un (même plusieurs), mourant, dans sa poursuite du Bullshitosaure-Rex. La rencontre offre alors une étonnante scène petitpiedesque, qui aurait pu tomber facilement (et horriblement) dans les crevasses de la Vallée Dérangeante, mais réellement engageante, ne serais-ce que par l'expressivité de l'animal. La raison est purement tactile. Film ou pas, le cerveau humain sait quand on lui montre des choses qui n'existent pas, et cet Apatosaure-là, il est bel et bien réel. La magie des effets spéciaux.
Evidemment, il y a aussi un peu (beaucoup) de CGI là dedans, il aurait été difficile de construire en entier (un apatosaure, c'est une grosse bestiole, et, à 20m de long pour 5 à 6 de haut, ça peut coûter un poil cher à reproduire à l'échelle), mais la tête est une petite merveille d'effets pratiques, et un bijou de magie technologique qui montre que c'est pas parce qu'on utilise de plus en plus d'effets spéciaux informatiques qu'on oublie de faire avancer la technique sur des effets plus tactiles. La robotique, c'est chic.


samedi 11 juin 2016

Une histoire de couvertures

Une couverture, ça dit plein de choses, et contrairement à ce que veut le dicton, on peut parfaitement juger un bouquin sur sa jaquette. Il faut juste prendre en compte des paramètres auxquels on ne pense pas spécialement, comme la date de parution, l'éditeur, la collection, l'illustrateur... J'ai l'air de statuer l'évidence, mais oui, les livres ont et montrent des visages totalement différents au fil de leurs histoires éditoriales. Etude de cas : Le Tambour d'angoisse de B.R. Bruss.

Dans l'ordre : Fleuve Noir (1962), Marabout (1973), NéO (1982), Fleuve Noir (1983)

De manière plus qu'intéressante, chacune de ces éditions est séparée de dix ans (jusqu'au choc des deux dernières, du moins), et on peut facilement s'apercevoir des différences de public (tant celui visé explicitement par l'éditeur que le public littéraire général) d'une décennie à l'autre. Pour illustrer plus facilement mon propos, je préfère ne pas vous présenter le récit ni l'auteur tout de suite et plutôt réfléchir à demi sur ce que les couvertures disent (ou pas) du livre.

Les années 60 voulaient de l'aventure dépaysante, et la sortie du Tambour d'angoisse en 1962 avec une couverture façon tam-tams de l'enfer (et qui provoque chez moi des tas de pensées tarzanesques et phantomiennes) s'avère parfaitement dans le ton. L'illustration de Michel Gourdon, spécialiste du polar, évoque de sanglants rituels africains et un récit haletant de bruit et de fureur, mais surtout, elle fait preuve de toute la retenue de l'époque, où seul le bandeau de la collection Fleuve Noire Angoisse, dont Bruss était un habitué, laisse apparaître l'identité réelle du texte.
Quand Marabout réédite le livre en 1973, c'est dans sa collection Fantastique, à l'identité visuelle très marquée et pour laquelle toute retenue est depuis longtemps passée par la fenêtre. La couverture s'intègre donc dans une vision éditoriale particulière et d'autant plus forte qu'elle est réalisée par Henri Lievens, artiste quasi incontournable qui signera plus des trois quarts des illustrations de la collection entre 1962 et 1983. Qui plus est, les seventies voient une évolution du genre vers un traitement très graphique dans le contexte des contre-cultures de l'époque. De fait, on a là une vision horrifique puissante et parfaitement assumée, Le Tambour d'angoisse version 1973 s'intégrant dans une ligne éditoriale où figurent déjà le She d'H. Rider Haggard, le Dracula de Bram Stocker ou le Malpertuis de Jean Ray, et destinée à un public très ciblé, habitué aux classiques de l'épouvante et à l'aventure pulp aux forts accents ésotériques.
C'est cette dernière orientation qu'on retrouve en 1982 chez les Nouvelles éditions Oswald. La collection NéO est ouvertement pulp et à forte consonance nord-américaine, s'attachant à (re)publier des auteurs alors trop peu connus en France comme le Robert E. Howard hors-Conan ou son compère de Weird Tales Clark Ashton Smith. Selon les canons du genre, Jean-Michel Nicollet (artiste attitré de la collection) présente alors une figure féminine en danger dans des ruines indistinctes. A ce titre, et exactement comme pour celle de Lievens, l'illustration retranscrit parfaitement l'orientation de sa collection. Elle s'attache à renforcer un aspect lovecraftien (les civilisations perdues et les gens effrayés) qui apparaît au final tout à fait naturel dans ce contexte, et se fait beaucoup plus explicite que les précédentes.
Pour finir, je n'ai que du mal à dire de l'horreur bariolée et typique des conaneries des eighties concoctée par Pierre Golvan pour la réédition chez Fleuve Noir de 1983, dans la collection Horizons de l'au-delà. On est en face d'une illustration pseudo-symbolique qui correspond pleinement aux lignes typées science-fiction-fantasy-fantastique d'alors, publié dans une collection aux idées très kingiennes (au sens Stephen du terme), totalement générique et qui ne renseigne aucunement sur le contenu du bouquin. On pourrait s'attendre à un récit jouant sur le temps, à découvrir une menace ailée en plein désert, mais il est quand même écrit "le tambour d'angoisse" en gros en travers, et très honnêtement, si le livre n'avait jamais été publié que sous cette couverture, je pense que je ne l'aurais jamais lu. Sorti en même temps ou presque que l'édition NéO, cette nouvelle version Fleuve Noire est assez symptomatique des publications plus ou moins automatiques de littérature de genre dans les années 80 (et spécialement chez cet éditeur) : il est très improbable que l'illustration ait été pensée pour ce livre, et il s'agit bien plus certainement d'une de ces illustrations généralistes achetées en masse par les éditeurs et placardées en couverture au petit bonheur la chance.


Voila donc pour les couvertures, et le bouquin dans tout ça ?
Le Tambour d'angoisse est l'histoire d'une expédition scientifique envoyée dans le désert australien en quête d'uranium. Hyper équipée, ravitaillée comme à la parade et en pleine possession de ses moyens, elle tombe un jour sur les restes rocheux de ce qui semble être une ville indistincte. Le soir même, un angoissant tambour se met à résonner dans le désert...
Racontée sous forme de journal de campagne, la lente et douloureuse descente aux enfers des quinze membres de l'équipe répond à tous les poncifs du genre, mais est admirablement rythmée et stylistiquement impeccable. B.R. Bruss (de son vrai nom René Bonnefoy) est un auteur "post-atomique" glaçant, passé maître dans l'art de déconstruire la réalité de ses personnages. Plutôt habitué au contexte science-fictionnel (on lui doit l'exceptionnel Et la planète sauta... en 1946, dont le titre se passe de commentaire), il en était à la sortie du Tambour d'angoisse à sa six ou septième apparition dans la collection Angoisse. Et les deux genres s'y téléscopent assez frontalement sur fond d'archéologie hantée. Pour faire simple, Le Tambour d'angoisse est mon récit d'horreur favori. Je l'ai lu pour la première fois à douze ou treize ans, et les images qu'il m'a mises devant les yeux sont imprimées à jamais dans mon imaginaire. Il est, à mes yeux, la quintessence de l'angoisse lovecraftienne francophone, et la raison même pour laquelle j'aime ce type de récits pour commencer. (J'avoue en revanche avoir énormément de mal à le relire : avec le temps, il est devenu un objet de fascination pop tout particulier, mais il m'avait réellement terrifié à l'époque, et ça aussi, c'est imprimé à jamais dans mon imaginaire.)
Quant aux couvertures... J'aime énormément celle de Michel Gourdon, mais pour plein de raisons burroughsiennes plus ou moins aléatoires qui n'ont absolument rien à voir avec Le Tambour d'angoisse, aussi ma favorite est indiscutablement celle de Lievens. C'est celle de ma jeunesse et c'est définitivement la plus proche du sujet (s'il y a débat sur ce point avec la version de Nicollet, celle-ci est autrement plus plate et totalement inintéressante à mon sens). Elle est aussi beaucoup plus fine qu'il n'y parait : au premier abord, elle fait carrément affiche de film de zombies, et elle ne se dévoile réellement qu'à la lecture du livre. Elle est, au final, la seule à montrer réellement l'angoisse intérieure lancinante du récit (et la terrifiante tâche bleue sur le front, un élément central du livre). Et puis elle garde un côté éminemment seventies qui, certes, ne sera pas au goût de tout le monde, mais que j'affectionne tout particulièrement (un détail qui m'amuse toujours énormément, par exemple, c'est la police d'écriture des éditions Marabout de l'époque qui pue le psychédélisme ambiant à des kilomètres), effet renforcé par sa palette particulière, exigée par le fond noir caractéristique de la collection dont elle est issue. Toutefois, même si je savais en ouvrant le bouquin qu'il n'était pas question de zombies (malgré la présence magique du tambour, la quatrième de couverture présente un cadre plutôt cartésien), le côté exploitation du graphisme vend une histoire assez différente du texte même, et je m'attendais à quelque chose de plutôt sanguin (pas sanglant, pas confondre). Ce n'est pas le cas, et j'aurais du mal à m'en plaindre. A la lecture, j'avais des images d'explorations indianojoneso-madmaxiennes en tête, dans un désert long et blanc façon salt flats de Bonneville, aride et surexposé, mais je pense que l'envie de Bruss, vu l'auteur et l'époque, s'approchait plus d'un genre de Robinson Crusoé sur Mars hyper angoissant aux accents de fin du monde (ce qu'aucune couverture ne retranscrit, d'ailleurs).


Le livre démarre comme un roman d'aventure avant de sombrer peu à peu dans l'horreur, c'est très psychologique, lovecraftien en diable (on n'a pas peur de ce qui effraie les héros, on a peur précisément parce qu'ils ont peur, c'est l'inconnu qui terrifie - au passage, si vous pensiez que l'horreur lovecraftienne c'était juste des tentacules, vous étiez d'innocentes victimes de l'image ; c'est pas grave, mais allez lire le monsieur, maintenant, c'est important), et très proche, en fait, des films d'horreur à métamorphoses et/ou à menaces rampantes des années 50, où l'accent porte sur la psyché des protagonistes et leur perte progressive de contact avec la réalité, pas sur l'impact visuel (un truc qui me déplaît profondément dans le cinéma d'horreur depuis l'apparition des slashers - je ne lis/regarde pas d'horreur pour me faire peur, mais pour explorer les possibles). Pour rester dans la comparaison audiovisuelle, on est alors en pleine période phare de la Quatrième dimension (série qui débute en 59), La Mouche noire ou La Femme guêpe viennent de sortir aux Etats-Unis, et la France s'angoisse devant Les Diaboliques de Clouzot (qui m'a toujours fait penser à un genre de Ballet des sorcières de Leiber sans l'élément ésotérique). Des films et séries qu'on ne qualifierait absolument pas d'horreur aujourd'hui, mais de thrillers plus ou moins fantastiques. Le Tambour d'angoisse retranscrit bien ce type d'épouvante pernicieuse qui brouille les sens et l'esprit mais jamais ne se montre, terrifiante de par son absence même. Et assurément, c'est ce manque d'antagoniste défini qui ressort de cette collection de couvertures. Si Lievens parvient étonnement bien à traduire l'effet psychologique de la terreur sur les héros, Gourdon et Nicollet (on fera semblant de ne pas voir celle de Golvan) s'attachent à retranscrire la menace (ou absence de), et échouent bien tristement dans leur entreprise, rendant des couvertures certes évocatrices, mais manquant au final cruellement de punch.

D'où question : si vous aviez à en proposer une, qu'imagineriez-vous ?
La mienne serait probablement un désert plat et rougeoyant très diffus, avec quelques simili-montagnes pyramidales aux motifs inhumains en fond, quelques silhouettes minuscules écrasées par l'échelle du décor, et le sentiment d'être définitivement perdu devant rien du tout. De manière assez étrange (ou pas, justement), c'est exactement le même type d'image, mais verdâtre et dans un cadre junglesque, que je verrais bien sur la nouvelle Les Etres de l'abîme d'Abraham Merritt, une de mes (pré-)lovecrafteries favorites, ou, obscurcie à l'extrême et peuplée d'une unique tâche rousse, pour l'exploration infernale de Jirel dans Le Baiser/L'Ombre du Dieu noir...

mardi 7 juin 2016

Storytelling avec... Frank Quitely

J'ai répété à plusieurs reprises ne pas aimer le run de Grant Morrison sur New X-Men. J'ai répété au moins aussi souvent que le trait de son compère Frank Quitely me déplaisait, mais qu'il avait une science incroyable du découpage. Ses cinq premières pages de l'épisode 138 étaient de ma liste des 100 trucs, et sont assurément de mes favorites de l'histoire de la bédé.
Quitely est un dessinateur de la "génération cinématographique", des artistes aux tendances scope qu'on attribue pour beaucoup au passage de Warren Ellis (et de Bryan Hitch) sur The Authority. Toutefois, malgré les efforts de leurs auteurs à les faire passer pour des blockbusters hollywoodiens post-Matrix, les codes bédéastes n'en restent pas moins radicalement différent. Leur seul point commun serait en fait de combiner mots et images pour faire avancer une histoire. Le cinéma opère dans le temps en mouvement, alors que la bande dessinée est une montre arrêtée. Avoir une bédé au format scope revient ainsi peu ou prou à coller les images d'une pellicule côte à côte, lui permettant de se fendre d'un cadrage typiquement cinématographique hyper-dynamique et d'une narration ultra-découpée qu'on pourra vite assimiler à du storyboarding.
Parfois, c'est d'ailleurs juste ça, et ça ne va honnêtement pas bien loin. C'est même souvent très chiant, trop décompressé, trop prévisible aussi, et surtout assez plat à lire, de part l'unité des cases. Alors entrent en scènes des dynamiteurs de génie.
Mesdames et messieurs, Frank Quitely :


Qu'on soit clair dès le début de cette petite analyse : ces pages sont un petit chef-d'oeuvre de narration qui mériteraient un polyptyque sous cadre de verre (ou, en tout cas, d'être montrées dans toutes les écoles de bédé). Il y a plus de cohérence, de dynamisme et de qualité de composition dans le découpage de ces cinq planches que dans les six heures de montage épileptique de la trilogie Bourne. Si je mangeais en lisant, j'en ferais tomber mon pop-corn sur ma bédé.
Pris dans l'action à peine la couverture tournée, j'ai encore du mal quinze ans après sa publication à croire que tout ça ne bouge pas, que les pneus ne crissent pas et que le vent ne souffle pas dans les poils du Fauve (qui, en passant, gagne ici ses lettres de noblesse féline). Quitely nous offre le full action package en mouvement constant dont rêvent les Michael Bays du dimanche, en quelques frames clés, et par ailleurs sans cet effet de flou qui bouffait un bon paquet de colorisations dans les comics post-2000 photoshopés. Il crée son dynamisme en jouant avec des effets très graphiques, tordant les décors et les personnages pour créer ses lignes de vitesses. L'impulsion est donnée par la chevelure du Fauve, sa bave, le feuillage des arbres, les phares de la voiture, les flammes, les bris de glace, l'optic blast... Tout bouge, horizontalement, dans le sens naturel de lecture. Et le regard suit, à 100 à l'heure, jusqu'au milieu de la page 4 où, soudain, le plan se fige, la voiture freine, et le mouvement se fait en sens inverse, de droite à gauche, stoppant l'action aussi efficacement qu'il la suivait.
C'est parfaitement clair, on sait toujours se placer spatialement et temporellement, et pourtant, on lit ça en passant à peine quelques dixièmes de secondes sur chaque case. La raison est à aller chercher dans le cadré autant que dans le cadrant. Non seulement Quitely joue à merveille des outils typiques de la bande dessinée de mouvement, mais il guide aussi et surtout le regard de manière totalement inconsciente à travers la forme même des cases. Plus que le découpage en lui-même, c'est bien la composition de chaque page qui crée le rythme de lecture. De grands rectangles horizontaux encadrés de bandes noires (cinémascope, on a dit), dont les dimensions et positions variables créent un effet d'accordéon (voyez comme elles se décalent sur la droite en bas de la page 3, au moment où la poursuite est à son climax) qui amplifie encore l'impression de mouvement en l'accompagnant physiquement (la hauteur même des cases change le focus entre gros plans et plans larges). Se crée une illusion de chorégraphie millimétrée, comme au cinéma, aux cadrages parfaitement pensés et que l'absence totale de bulles ou d'onomatopées rend d'autant plus réelle. Et pour freiner tout ça, deux grands carrés (ou presque) et des rectangles parfaitement égaux et alignés. Les cases ne bougent plus, le mouvement disparaît, on revient à une bande dessinée plus classique : de multiples points de vue du même endroit, au même moment. Les yeux cessent de voyager, le fuyard reprend son souffle, nous aussi. On peut maintenant lire les bulles.

samedi 4 juin 2016

#JurassicJune : Le jour où Conan rencontra un stégosaure

Jurassic June. J'ai découvert cette chose le mois dernier en cherchant quelques infos sur de vieux films dinosoïdes. Célébré pour la première fois en 2014 comme réponse auto-référencée au May the 4th des amateurs de Star Wars, ce mouvement comme seul internet est capable d'en créer est passé de la blague d'initié au hashtag à la mode en à peine deux éditions. Parce qu'internet. Ca avait l'air rigolo. J'ai eu envie de participer.

Les Clous rouges, dernière aventure de Conan publiée par Robert E. Howard, n'est pas un roman extraordinaire (déjà, c'pas un roman, c'est une novella, mais qu'importe). J'irais jusqu'à dire que ce n'est pas un bon roman, tout court, le récit est formuléique au possible, les ficelles grosses comme les cuisses de son héros, et tous les éléments présents ont déjà été explorés dans des histoires antérieures... mais ce serait laisser de côté une aventure palpitante et un paquet d'éléments devenus iconiques dans la vie populaire du cimmérien. Sa romance avec Valéria, par exemple. Ce qui me frappe surtout, c'est l'affinage des recettes, où d'une énième chasse aux trésor tournant en exorcisme barbare, Howard tire un récit aux rebondissements complètement fous (jusqu'à en devenir ridicules, mais là n'est pas la question), sans compter la description de la cité morte de Xuchotil qui sert de cadre à l'histoire, profondément emprunte de cette déchéance ultime de la civilisation qui parcourt les histoires du texan. Sans exagérer, il propose ici sans doute sa plus belle ville, glissant entre quelques visions réminiscentes autant du She de H. Rider Haggard que de l'inévitable cité d'Opar, grandes prêtresses incluses, un fort relent de fin du monde que n'aurait pas renié Clark Ashton Smith. Evidente inspiration ne serais-ce que par son nom, Xuchotil et ses halls de jade, c'est Xuthal la crépusculaire puissance mille. Et j'adore Xuthal la crépusculaire.
Mais ce n'est pas pour cette cité fantôme que je garde un vibrant souvenir de Red Nails. Enfin, pas seulement. Le vrai détail-qui-tue, pour moi, c'est la rencontre avec un dragon en début d'aventure, tellement soudaine qu'elle en devient effrayante, et surtout donnant à voir un monstre qu'Howard, friand d'entités simiesques hautes comme des halls de gare, ne présentait que rarement. Un dinosaure. La bête est mal décrite, qui plus est avec toutes les erreurs de la paléontologie bégayante de l'époque et passée à la moulinette d'une aventure fantastique, mais il est difficile de ne pas voir dans cette créature mythique un vrai bon gros dinosaure. On peut même parfaitement l'identifier, l'animal étant présenté comme portant de larges plaques osseuses dorsales, de longs pieux au bout de la queue, et se mouvant comme un pachydermique lézard. Un stégosaure. Un stégosaure de 1936, carnivore par dessus le marché, mais un stégosaure tout de même.
J'ai toujours vu dans ce monstre le gardien non-avoué de la cité de jade, ce qui nous amène à la raison même qui m'a poussé à en parler aujourd'hui.

En 1973, Roy Thomas et Barry Windsor-Smith adaptent Les Clous rouges pour Marvel dans les numéros 2 et 3 de Savages Tales. Cette BD, je l'ai découverte terriblement tard, grâce aux intégrales de Dark Horse, longtemps après sa lecture originale dans le Conan le guerrier de Sprague de Camp dont j'étais ressorti certes charmé par les idées visuelles, mais surtout profondément ennuyé par la répétitivité narrative. Pas de ça ici, Thomas et Smith expédient l'histoire en une quarantaine de pages, c'est vif, c'est beau, fouillé, plein de détails très gracieux et pourtant bien puissant. Thomas et Smith, quoi.

Le dragon imaginé pour l'occasion me rappelle autant ce faux quadrupède carnivore qu'avait créé Jim Danforth pour When Dinosaurs Ruled the Earth en 1970 que le Monstre d'un autre temps que rencontrait Rahan en 1971 dans les pages de Vaillant (notez que le fils de Crao combattra aussi Godzilla, mais ça n'a rien à voir), Smith mélangeant différentes créatures pour donner naissance à la bestiole la plus improbable qui soit (cette gueule!). Et la façon avec laquelle Conan (je vous jure que j'ai failli écrire Tarzan - Pellucidar aura ma peau) s'en débarrasse est juste magique.
Elle est aussi une image parfaite de la façon dont, peu à peu, le style de Smith s'est affranchi de la narration de Thomas (un long et passionnant sujet sur lequel on reviendra, un jour, peut-être), et, même si j'aurai toujours d'abord le visuel de John Buscema en tête, l'illustration parfaite de pourquoi Conan en bédé c'est Smith. Le lézard gauche mais incroyablement vif, la clarté de cases pourtant remplies à ras-bord de détails quasi maniaques, la curieuse expressivité des visages (un des points faibles de Smith, et qui donne aux rapports humains un côté assez irréel)...
Je pourrais continuer cette liste pendant deux jours et demi et ça ne vous avancerait à rien. Illustrons tout cela, ça ira mieux. Le poids des mots, comme dirait l'autre...
(Les scans, en VF pour une fois, proviennent des Chroniques de Conan 1971-1974, publiées en 2008 chez Panini.)



Un point que je ne peux pas ne pas ajouter, toutefois, que peu remarquent mais qui me fait toujours un effet fou : l'élégance de Valéria sous le pinceau de Barry Windsor-Smith, son attirail sobre et gracieux, des manches bouffantes à l'incongruité du short, relevée par cette coiffure à la fois stricte et lâche qui prend souvent, de loin, une forme de casque. Princesse et guerrière, cette Valéria est, bien loin de la barrique du film de Milius (avec tout le respect que mérite Sandhal Bergman, non, je ne me lasserai jamais de dire du mal de ce film, huez-moi, je m'en moque), une incarnation de l'altesse guerrière, et une des rares présences féminines à tenir tête au gros bourrin que sait être le cimmérien, surtout sous le trait (volontairement) grossi de Roy Thomas.

...Et tout ça parce que je voulais montrer Conan découper un stégosaure.

jeudi 2 juin 2016

Random work of wow : (Trans)humanité divisée

La semaine dernière, alors que je bouclais mon mois séquentiel, tombait un étonnant et fort bien foutu trailer scénarisé pour Deus Ex: Mankind Divided, le futur épisode de la franchise.
J'n'en ai pas parlé au moment de sa diffusion, pour éviter de couper mon questionnaire, et j'ai profité du premier jour de juin pour revenir dessus... Sauf que bizarrement, en le revoyant, je me suis demandé s'il était vraiment bien utile que j'aligne toutes les remarques auxquelles j'avais pensé la première fois. J'avais pensé à un parallèle douteux avec Magnus, Robot Fighter, j'avais eu deux ou trois interrogations sur ce qui aurait fait disjoncter les gens (une IA maligne à la I, Robot ?), j'étais prêt à faire des tas de suppositions... Et puis je me suis rendu compte qu'en fait je n'avais strictement aucune idée de ce dont je parlais (je ne connais pas cette série, je n'y ai jamais joué), et qu'aussi intéressantes qu'aient pu être mes références, elles n'avaient pas lieu d'être face à cette vidéo.


C'est que, non content d'être un produit publicitaire, ce trailer se permet de luxe d'être en prise de vue réelle (les hipsters disent "live") ce qui crée forcément un degré d'empathie supplémentaire, et, n'étant évidemment pas construit comme un trailer de cinéma, s'offre un aspect narratif particulièrement fort. On se retrouve devant ce qu'on pourrait qualifier de proof of concept surbudgetisée, une vidéo destinée non pas à présenter le contenu d'un produit mais à pitcher son univers, et d'un coup, toutes les choses que je pensais dire dessus m'ont parues... superflues.
Il s'agit tout bêtement d'une origin story résumée en trois minutes, réalisée qui plus est avec une compétence à faire passer pas mal de films d'1h50 pour des travaux inutilement redondants. J'y vois des tonnes de trucs qui me chatouillent les neurones à un niveau stratosphérique, et, pour une série qui ne m'avait jamais intéressé (pour de pures raisons de gameplay), soudain, l'univers devient un réel plus. En prenant le parti de montrer l'avant-jeu, l'origine d'une constituante de son monde, ce trailer offre un terrain bien plus concret que ce que j'avais vu de la licence jusqu'alors (car j'ai réellement l'impression que jamais on ne me l'avait présenté avant - et j'ai traîné sur RPGFrance, où cette licence est une institution), sans compter, je le répète, qu'il est narrativement tout à fait compétent. Il parvient à raconter une histoire complète sans nommer personne et simplement en focalisant sur deux silhouettes, vite caractérisées, qu'on ne manque jamais d'identifier malgré l'effervescence ambiante et le bruit d'un montage oscillant entre infomercial et reportage de guerre dont les voix ne manquent jamais de se superposer.
Sans rire, c'est extrêmement bien foutu, et fi des définitives appréhensions envers le jeu lui-même qui me laisse à demi-vide devant une image de FPS spyfy un peu vain, je serais, à voir ça, plus qu'intéressé par plonger dans ce monde transhumaniste désenchanté.
A vrai dire, j'en viens à rêver d'un point'n click qui utilise la narrative de la chose tant je la trouve intrigante...

Enfin bref. Trailer, disais-je.


mercredi 1 juin 2016

Nom de Dieu, ça existe.

C'est, à la virgule près, les mots qui se sont échappés de ma bouche, dans un souffle étouffé, à 7h15 du matin environ, le 31 mai 2016 (hier matin, quoi). Ce jour là, j'ai découvert quelque chose que j'avais jusqu'alors toujours pensé impossible : Turok a été publié en VF.
Si.

LÀ ! Avril 72 c'est écrit !

J'avais cherché, il y a quinze ans, dans les balbutiements du net, avant même l'âge de Google, l'existence d'une telle chose. Quelques vieilles connaissances bibliothécaires bédéphiles m'avaient bien parlé de quelques héros anglophones hors-Marvel/DC publiés par chez nous, tel Judge Dredd chez Artima ou Le Fantôme chez Remparts, mais Turok, non pas.
Résigné, mais pas franchement étonné, j'avais choisi d'importer le chasseur de dinosaures par mes propres moyens. J'ai fait ça pendant quelques années, et quand j'ai eu tout ce que je voulais, le net avait bien évolué et j'ai découvert la magie du scan, puis la folie des rééditions de luxe (il m'a quand même fallu attendre 2010 pour lire le Turok originel ailleurs que son mon écran).
La VF, je n'ai jamais pensé une demi-seconde à profiter de l'évolution du web pour chercher après. J'avais tout en anglais, pourquoi m'embêter ?

Or donc, ce matin fatidique du 31 mai, j'ouvrais un fraîchement défraîchi Spécial Fantôme, avec ce Fantôme rouge qu'on doit aux éditions des Remparts, publié dans le désordre et avec plein d'trous, mais lisible dans la langue de Jul et de Maître Gims (un nom que j'ai sérieusement du googler pour écrire correctement...). Les bouquins des Remparts ne s'encombraient pas de pages inutiles, on ouvrait, y avait trois bêtises sur l'intérieur de couv', et boum, dans le vif du récit. Il y a rarement autre chose qu'un crédit que, fier amateur de vieilles bédés, on connait déjà, et quelques publicités et autopromotions pour les autres publications de l'éditeur de ces joyeuses aventures.
Et là, sur l'intérieur de couverture de mon Spécial Fantôme Nouvelle Série numéro 2 de décembre 1973, la publicité que jamais ne n'aurais cru voir, que je ne pouvais même pas imaginer dans une édition francophone, surtout dans le magazine d'un mec chelou comme le Fantôme.
Cette pub.

Ecrit en gros. Devant moi. Qui m'appelle.

Il m'a fallu vingt-quatre heures pour m'en remettre, mais maintenant que c'est fait et que je sais quoi chercher, j'ai cinq albums et la majorité des dix-huits numéros de la chose, le Turok des origines, en VF, chez Rempart, publié entre 1972 et 77 en jolis fascicules de 34 pages, imprimés flous sur du papier de merde rosâtre et jauni par le temps, en route vers ma bibliothèque.
A l'époque, c'était vendu un franc cinquante. Aujourd'hui, ça m'a coûté beaucoup plus que je n'ose l'avouer. Mais je m'en fous.
Je suis enfance et papillons dans le ventre.